Avec 50 430 nouveaux cas diagnostiqués en 2018, le cancer de la prostate (CaP) est le premier cancer masculin en France. Il représente 25 % des cancers chez l’homme dont il est la troisième cause de décès par cancer [1]. Dans l’Hérault, plus de 1 000 nouveaux cas de CaP sont validés chaque année par le registre des cancers. Depuis 2017, un registre spécialisé, RHESOU (Registre Hérault Spécialisé en Onco Urologie), enregistre et collecte toutes les variables d’intérêt relatives aux tumeurs urologiques et génitales masculines et à leurs prises en charge [2]. La pratique du PSA (Antigène spécifique prostatique) dans le dépistage individuel du CaP a entraîné une augmentation des formes localisées du CaP [3]. Le CCAFU édite et met à jour régulièrement des recommandations sur le bilan et la prise en charge du CaP [4]. Le but des sociétés savantes est de donner les éléments actuellement disponibles dans la littérature sur le CaP en espérant l’adhésion des urologues à ces recommandations dans leur pratique clinique. L’objectif de cette étude est d’analyser l’adhésion des urologues de l’Hérault aux recommandations du CCAFU dans le bilan d’imagerie du CaP localisé.
Le registre des tumeurs de l’Hérault (RTH) est un registre général créé en 1983. Il recueille de manière continue tous les cas de cancers survenus chez les personnes résidant dans le département de l’Hérault au moment de leur diagnostic. Ce registre a de nombreuses sources de signalement des cas, ce qui assure l’exhaustivité des données. Tous les cas signalés font l’objet d’un retour aux dossiers médicaux afin de valider les informations relatives aux patients et à leur cancer. RHESOU a débuté le recueil de données complémentaires plus exhaustives pour les cancers urologiques et génitaux masculins diagnostiqués depuis janvier 2017.
Cette étude ne concerne que les patients résidant dans le département de l’Hérault avec un CaP localisé diagnostiqué entre le 01/01/2017 et le 31/12/2019, ayant au diagnostic un PSA connu, un toucher rectal (TR) T1c à T2 et des Ponctions Biopsies Prostatiques (PBP).
Sont exclus de notre analyse les patients avec données manquantes, les CaP non évaluables pour la classification de D’Amico, les carcinomes neuroendocrines purs, les carcinomes urothéliaux de prostate et les CaP dont le diagnostic a été fait sur pièce de cystoprostatectomie ou sur résection de prostate pour hypertrophie bénigne. Nous avons exclu les CaP localement avancés T3/4 N0 M0. qui dans notre série ont tous eu une tomoscintigraphie osseuse et une tomodensitométrie (TDM). La tomographie par émission de positons (TEP) PSMA (Prostate Spécifique Membrane Antigène) n’était pas disponible dans notre période d’étude et l’IRM (imagerie par résonance magnétique) corps entier a été anecdotique.
Nous avons analysé pour chaque patient les données d’imagerie du bilan initial et nous les avons corrélées aux recommandations du CCAFU en fonction du groupe à risque de la classification de D’Amico auquel il appartenait.
Bien que la classification de D’Amico [5] ait évolué, nous avons conservé sa description initiale en faible risque, risque intermédiaire et haut risque utilisée par le CCAFU (Tableau 1). Nous n’avons pas pris en compte les résultats des primo examens ni les comorbidités pouvant justifier un complément d’imagerie.
Pour couvrir notre période d’inclusion (de 2017 à 2019) nous avons utilisé les recommandations du CCAFU 2016/2018 [6] et 2018/2020 [7].
Sur la période 2016 à 2020, il n’y a pas eu de modifications dans le bilan d’imagerie du CaP (Tableau 2). Durant cette période, l’IRM prostatique (IRMp) était optionnelle dans le faible risque et recommandée dans les risques intermédiaires et les hauts risques [6, 7]. Pour le bilan local, nous avons extrait les données du TR, du dosage du PSA et le groupe ISUP. Toutes les biopsies ont été réalisées par voie transrectale et il n’y a pas eu de relecture centralisée. Pour le bilan d’imagerie, nous avons recherché la réalisation des examens suivants : la tomoscintigraphie osseuse, le scanner abdomino-pelvien (TDM AP) ou thoraco-abdomino-pelvien (TDM TAP), la TEP Choline et l’IRM corps entier.
Pour les risques intermédiaires, deux groupes ont été analysés :
• | le groupe ISUP <3 (grade 4 de Gleason minoritaire). Aucun examen d’imagerie n’était recommandé en dehors de l’IRMp et pelvienne ;
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• | le groupe ISUP ≥ 3 (grade 4 de Gleason majoritaire). Etaient recommandées une IRMp et pelvienne et une tomoscintigraphie osseuse.
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Pour le haut risque, le CCAFU recommandait une IRMp et pelvienne et une tomoscintigraphie osseuse.
Nous n’avons pas tenu compte des examens de dosimétrie avant radiothérapie.
Durant la période du 01/01/2017 au 31/12/2019, 3 139 CaP ont été validés par RHESOU. Parmi ces patients, nous avons identifié 2 049 CaP localisés évaluables pour notre analyse (Figure 1). Selon la classification de D’Amico, nous avions 591 cas de faible risque, 1 059 cas de risque intermédiaire et 399 cas de haut de risque.
Figure 1.
Critères d’inclusion et d’exclusion de l’étude. N: nombre; PSA: antigène spécifique prostatique; RTUP: résection trans-utérale de prostate PBP: Ponction Biopsie de prostate
Ces trois groupes sont résumés par classe d’âge, par le stade clinique, et la valeur du PSA au diagnostic ainsi que du groupe ISUP des PBP dans le Tableau 3.
Le TR était cT1c pour 67,9 % des patients de ce groupe (Tableau 3). Quatre cent quatre-vingt-neuf patients (82,7 %) ont eu une IRMp et parmi eux, 194 (32,8 %) ont eu une imagerie complémentaire et étaient donc hors recommandations. Cent deux patients (17,3 %) n’ont pas eu d’IRMp : 73 (12,4 %) ont eu une autre imagerie et 29 (4,9 %) n’ont eu aucune imagerie. Au total, 324 patients (54,8 %) suivaient les recommandations (Figure 2).
Figure 2.
Bilan d’imagerie pour les cancers de prostate de faible risque.* IRM prostatique optionnelle selon les recommandations du CCAFU (2016/2018, 2018/2020)
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| CaP de risque intermédiaire |
Le PSA au diagnostic était inférieur à 10 ng/ml dans 62% des cas et entre 10 et 20 ng/ml dans 38,0 % des cas. Au TR, 54,0 % des patients avaient un stade cT2 (Tableau 3). Cent cinquante cas (14,1 %) du groupe ISUP 1 ont été classés à risque intermédiaire par les données du TR et / ou du dosage du PSA et / ou du groupe ISUP au diagnostic. Cent soixante-douze patients du groupe ISUP <3 (16,2 %) et 69 patients du groupe ISUP ≥ 3 (6,5 %) ont eu un bilan d’imagerie conforme aux recommandations (Figure 3). Au total, pour l’ensemble du groupe de risque intermédiaire, 241 patients (22,7 %) ont eu un bilan conforme aux recommandations.
Figure 3.
Bilan d’imagerie pour les cancers de prostate de risque intermédiaire.
La valeur du PSA au diagnostic était supérieure à 20 ng/ml dans 47,9 % des cas et 66,7 % des patients avaient un stade cT2. Le groupe ISUP 4 est le plus représenté avec 181 cas (45,4 %) (Tableau 3). Pour l’ensemble de ce groupe, 76 patients (19,1 %) ont eu un bilan conforme aux recommandations (Figure 4). Le nombre d’imageries réalisées dans chaque groupe à risque est résumé dans le Tableau 4.
Figure 4.
Bilan d’imagerie pour les cancers de prostate de haut risque.
Dans notre série, pour le groupe de faible risque, 416 patients (70,3%) ont eu une IRMp avant les PBP, 73 (12,4%) après les PBP et 102 (17,3%) n’ont pas eu d’IRMp. Pour le groupe de risque intermédiaire, 627 patients (59,2%) ont eu une IRMp avant les PBP, 112 (10,6%) après les PBP et 320 (30,2%) n’ont aps eu d’IRMp. Pour le groupe à haut risque, 215 ( 53,9%) ont eu une IRMp avant les PBP, 31 (7,8%) après les PBP et 153 (38,3%) n’ont pas eu d’IRMp (Tableau 5).
Au total, 631 scintigraphies osseuses, 997 TDM TAP, 61 TEP choline et 4 IRM corps entier ont été réalisés en dehors des recommandations lors du bilan initial.
Parmi les 324 patients sous surveillance active, 64 (19,8 %) ont eu une scintigraphie osseuse et 76 (23,5 %) une TDM AP. Pour les 727 patients traités par prostatectomie, 435 (59,8 %) ont eu une scintigraphie osseuse, 438 (60,2 %) une TDM AP et 18 (2,5 %) une TEP Choline. Pour les 651 patients traités par radiothérapie externe avec ou sans hormonothérapie, 497 (76,3 %) ont eu une scintigraphie osseuse, 350 (53,8 %) une TDM AP et 32 (4,9 %) une TEP choline (Tableau 6)
En résumé, lors du bilan initial pour les 2 049 CaP localisés de notre étude, 641 (31,3 %) suivent les recommandations du CCAFU 2016/2018, 2018/2020. Mille quatre cent huit patients (68,7%) ont eu un bilan d’imagerie non recommandé par le CCAFU (Tableau 7).
Les objectifs du bilan du cancer de la prostate sont d’évaluer l’extension locale et métastatique susceptible d’orienter la prise en charge thérapeutique. La pratique du dépistage individuel du CaP a fait que la majorité des CaP est diagnostiquée au stade localisé [3]. D’Amico a classé les CaP localisés en trois groupes : les faibles risques, les risques intermédiaires et les hauts risques [5]. Cette classification a ensuite évolué mais le CCAFU 2020/2022 a conservé la classification initiale de D’Amico [4]. Le risque d’extension locale et / ou métastatique est variable en fonction des facteurs de risque [5]. Depuis 1995, les sociétés savantes ont établi et mettent à jour régulièrement des recommandations sur l’imagerie dans le bilan du CaP. Les imageries le plus souvent utilisées (en dehors de l’IRMp avant biopsie) sont la scintigraphie osseuse, la TDM AP et TAP, l’IRM corps entier et l’imagerie métabolique. Bien qu’il existe quelques différences dans ces recommandations, il semble admis que les patients avec un CaP de faible risque ne nécessitent pas d’imagerie complémentaire en dehors de l’IRM prostatique et pelvienne. Dans les CaP de faible risque la probabilité métastatique est inférieure à 1 % [8]. Dans sa série, Lavery a utilisé les recommandations de l’ACR (American College of Radiology) pour définir le faible risque (PSA ≤ 10 ng/ml et score de Gleason <6) [9]. Sur les 677 patients de faible risque de son étude qui ont eu une prostatectomie robot assistée, 48 % ont eu une imagerie non recommandée. Cent huit ont eu une seule imagerie (dont 53 TDM et 28 scintigraphies osseuses) et 202 patients (30 %) ont eu deux à trois imageries. À l’imagerie, aucun patient n’était métastatique osseux et après prostatectomie avec curage obturateur, aucun n’avait de métastase ganglionnaire.
Simonato a analysé l’adhésion de 135 urologues italiens aux recommandations de l’EAU (European Association of Urology) dans le bilan d’imagerie du CaP localisé [10]. Sur1 063 patients évaluables qui ont eu une prostatectomie, 53,34 % des patients ont eu un bilan non recommandé par l’EAU pour le bilan local, . L’examen le plus souvent réalisé a été la TDM AP et 71,21 % ont eu une scintigraphie osseuse. Dans cette série, les patients avec un PSA ≤ 20 ng/ml et un score de Gleason ≤ 7, 53,34 % ont eu un bilan non recommandé pour le cT.
Choi WW a utilisé la base SEER (Surveillance Epidemiology and End Results) pour analyser l’adhésion des urologues Nord-Américains aux recommandations de l’AUA entre 2004 et 2005 [11]. Sur les 6 444 patients avec un CaP de faible risque, 36,2 % ont eu une imagerie non recommandée : 23,5 % une TDM ou une IRM et 26,5 % une scintigraphie osseuse. Les patients inclus concernaient la période 2004 et 2005. Choi a analysé l’utilisation de l’imagerie en fonction des facteurs socio-démographiques et des traitements réalisés. Tous ces résultats doivent être interprétés dans leur contexte et les objectifs de l’étude.
La force de notre étude est de couvrir une population géographique sans biais de sélection avec des données exhaustives sur tous les CaP localisés sur 3ans.
Le bilan d’imagerie n’était pas conforme dans 45,2 % des cas pour le groupe de faible risque, 77,3 % pour les risques intermédiaires et 80,9 % pour les hauts risques. Si les données de la littérature sont anciennes, notre série plus récente confirme la surutilisation de l’imagerie (37,9 %). Les examens les plus utilisés hors recommandations sont la scintigraphie osseuse et la TDM AP. Pourtant, la probabilité d’avoir une scintigraphie osseuse et / ou une TDM TAP pathologique est négligeable dans le CaP de faible risque et de risque intermédiaire [10]. Dans la série de Lee, 25 % des patients de faible risque ont eu une scintigraphie osseuse et aucune n’était pathologique [12]. Cooperberg avait néanmoins noté une diminution de l’utilisation de l’imagerie après 1997 dans le CaP de faible risque (59 % vs 19 %) [13]. Abraham a montré une diminution de l’utilisation de l’imagerie dans le CaP localisé après les premières publications des recommandations de l’AUA en 1995 [14]. Il semble exister dans plusieurs pays une faible adhésion aux recommandations et une surutilisation de l’imagerie surtout dans les cas de faible risque [15].
Les données de l’Hérault ne sont peut-être pas transposables aux autres départements français. Il existe des variations géographiques d’utilisation de l’imagerie, surtout aux États Unis (USA). Cooperberg a montré que les patients de l’Est des USA avaient plus d’imageries que ceux de l’Ouest (75,4 % vs 52,1 %) [13]. L’explication serait un système d’assurance variable selon les états, ce qui n’est pas applicable en France du fait de notre système d’assurance maladie. Pour Dunnick, aux USA les facteurs influençant la surutilisation de l’imagerie seraient : la méconnaissance des recommandations par les praticiens, l’attente des patients, le revenu des familles ainsi que la pression du risque juridique. L’âge des patients ne semble pas influencer l’utilisation de l’imagerie [16].
Dans l’Hérault, la non adhésion des urologues aux recommandations du CCAFU est difficile à analyser. En dehors des contres indications à l’IRM, les habitudes prises dans le temps peuvent faire partie des hypothèses. Les données des recommandations ne sont pas toujours applicables à la situation individuelle d’un patient. Les patients qui consultent internet ne comprennent pas pourquoi avec un diagnostic de cancer ils n’ont pas d’examens plus approfondis. Malgré le décalage de la prise en charge thérapeutique, leur demande est le plus souvent acceptée par l’urologue pour établir une relation de confiance avec son patient. Le risque juridique est une explication possible de la surutilisation d’imagerie. Les modalités de traitement semblent aussi influer la réalisation d’imagerie. Il y aurait plus d’imageries réalisées chez les patients traités par radiothérapie externe que chez les patients traités par prostatectomie, mais pour la radiothérapie les patients sont le plus souvent référés avec un bilan déjà réalisé. La plus faible consommatrice d’imagerie serait la surveillance active [15].
L’utilisation de l’imagerie non recommandée peut être préjudiciable pour le patient. Smith-Bindman [17] a montré que la dose d’irradiation délivrée au cours d’une TDM AP est de 32 mSV. Selon elle, cela pourrait induire un cancer pour un patient de 60ans sur 600. La deuxième conséquence est le coût financier des examens non recommandés. Nous n’avons pas fait d’étude médico-économique mais le coût des examens d’imagerie non recommandés n’est certainement pas négligeable.
Notre étude présente des limites car nous n’avons pas pris en compte les comorbidités qui peuvent induire des décisions individuelles. Sur les 2 049 patients de notre étude, 90 (4,4 %) n’ont eu aucune imagerie lors du bilan initial. Ce sont en majorité des hommes âgés dont les comorbidités pourraient expliquer que les recommandations du CCAFU n’ont pas été suivies.
Les recommandations du CCAFU 2016/ 2018 et 2018/ 2020 ont évolué. Dans les dernières recommandations (2020/2022), l’IRMp avant les PBP est recommandée (Grade Fort) ainsi que la TDM TAP dans les hauts risques (Grade Fort), mais ces nouvelles recommandations n’étaient pas adaptables à notre période d’étude [4].
Notre étude montre une faible adhésion des urologues de l’Hérault aux recommandations du CCAFU dans le bilan d’imagerie du CaP localisé mais n’est pas extrapolable à tout le territoire Français. Cela est en accord avec les données de la littérature. Les raisons de cette non adhésion sont multiples et difficiles à analyser. Ce type d’étude grâce aux données de RHESOU peut être répété dans le temps pour analyser l’évolution des pratiques et peut présenter un intérêt pour tous les acteurs de l’onco-urologie.
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Déclaration de liens d’intérêts |
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Nous remercions tous les acteurs de l’Onco Urologie de l’Hérault, les urologues, les radiothérapeutes, les oncologues médicaux, les anatomopathologistes, les radiologues et les médecins nucléaires pour leur implication dans cette étude.