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En quoi ce registre et l’évaluation des biomarqueurs urinaires sont-ils d’intérêt public ?

Le développement de biomarqueurs urinaires pour détecter les tumeurs de vessie n’est pas récent et l’Association Française d’Urologie a récemment réalisé une revue systématique de la littérature à leur sujet avec l’aide de sa méthodologiste, Diana Kassab. Cette étude a distingué les deux situations dans lesquelles les biomarqueurs pourraient être utiles : celle du dépistage / diagnostic précoce des tumeurs de la vessie d’une part (chez des patients qui ne sont pas connus pour en avoir une, mais consultant pour une hématurie et / ou en raison d’une exposition professionnelle ou d’un tabagisme augmentant le risque d’un carcinome urothélial) et celle du suivi des patients atteints d’une tumeur de la vessie n’infiltrant pas le muscle d’autre part. L’étude de la littérature menée par le CCAFU avec Madame Kassab conclut au manque de preuves suffisamment robustes pour recommander leur utilisation en pratique quotidienne.

 

Limiter les fibroscopies de suivi

Dans l’indication du suivi des tumeurs de la vessie n’infiltrant pas le muscle (TVNIM), l’utilisation de biomarqueurs urinaires pourrait permettre d’éviter des fibroscopies aux patients. Il faudrait pour cela démontrer avec la rigueur scientifique nécessaire, que la valeur prédictive négative de ces marqueurs est très élevée. Autrement dit, un patient dont le biomarqueur serait négatif aurait la quasi-certitude d’avoir une fibroscopie normale : il n’y aurait donc pas d’obligation à lui faire subir cet examen. C’est cette démonstration qui fait actuellement défaut. L’AFU a pris la décision de s’y atteler.
Pour étudier la valeur prédictive négative d’un biomarqueur, il est nécessaire de comparer son résultat à celui de la fibroscopie réalisée selon le rythme recommandé en fonction du risque de récidive et de progression de la TVNIM. Les recommandations du CCAFU distinguent en effet les TVNIM de faible risque dont le suivi repose sur une fibroscopie à 3 mois, 12 mois puis annuellement jusqu’à au moins 5 ans après la résection initiale de la tumeur ; les TVNIM de risque intermédiaire où la fibroscopie doit être pratiquée à 3 mois, 6 mois, puis tous les semestres pendant au moins 5 ans en association avec une cytologie urinaire ; et les TVNIM à haut risque où fibroscopie et cytologie sont réalisées tous les 3 mois pendant 2 ans, puis tous les 6 mois jusqu’à la fin de la 5e année avant d’être maintenues au moins annuellement « à vie » (Figure).

 

Figure : Recommandations du CCAFU concernant le suivi des TVNIM.

 

Une représentativité élargie

Un bon biomarqueur, utilisable en pratique quotidienne pour s’autoriser à surseoir à la fibroscopie, devra permettre d’exclure la présence de tumeurs quel que soit leur grade (bas ou haut, ces dernières pouvant être imparfaitement détectées par la cytologie urinaire), carcinome in situ compris.
Un grand nombre de patients suivis pour tout type de TVNIM devrait dont être inclus dans une étude prospective où l’urologue documenterait les données clinico-pathologiques du patient et de sa tumeur, prescrirait le biomarqueur avant de réaliser la fibroscopie (en même temps que l’ECBU et / ou la cytologie), puis réaliserait la fibroscopie en en consignant le résultat. Pour éviter que l’urologue ne soit influencé dans la manière dont il observe l’intérieur de la vessie avec son fibroscope, il ne devrait pas être informé du résultat du test. Par ailleurs, pour éviter tout biais lié à la géographie du recrutement (l’exposition à des facteurs de risque de cancer de la vessie étant hétérogènes dans certaines régions de France), tous les urologues de France devraient pouvoir participer à cette étude.
Il s’agit donc d’un cahier des charges exigent mais, à terme, les résultats de cette étude pourraient changer la vie de dizaines de milliers de patients suivis pour une TVNIM. S’ils démontrent leurs bonnes performances au travers de cette étude, les biomarqueurs urinaires amélioreront le suivi des patients avec une diminution du recours à la fibroscopie, réduisant d’autant les risques liés à cet examen, apportant une meilleure qualité de vie et une réduction des dépenses de santé.

Pr Yann Neuzillet

 

Publics / privés : tous les urologues peuvent s’investir dans la recherche

 

Priscilla Léon est urologue à la clinique Pasteur de Royan et membre du CCAFU vessie. Très engagée dans ce projet, elle espère une grande implication de tous les urologues dans l’étude des biomarqueurs vésicaux initiée par l’AFU.

 

Que diriez-vous aux urologues, notamment exerçant dans le privé, pour les inciter à s’impliquer dans cette étude ? Quelle pourrait être leur motivation ?

Dr Priscilla Léon : C’est un projet de grande envergure porté depuis des mois par le CCAFU vessie. Nous allons comprendre si des biomarqueurs vésicaux seront à même de modifier le suivi des patients atteints de tumeurs de vessie non infiltrant le muscle. L’intérêt de ces marqueurs pourra peut-être transformer le quotidien de nos patients. Nous sommes dans un cercle vertueux avec en toile de fond l’idée de pouvoir proposer les meilleurs soins. Il n’y a donc pas de débat public / privé sur ce sujet. Les libéraux convergent vers ce même objectif de mieux soigner les patients et de faire évoluer nos pratiques. Pour nous médecins, la cystoscopie est un examen de routine. Mais elle n’est pas anodine pour les patients car elle peut être inconfortable ou douloureuse. Avec ce projet d’étude et en associant tous les urologues de France, sans distinction d’exercice public / privé, nous allons savoir si ces marqueurs et la technique innovante qui les accompagnent, nous permettront de sortir du cadre standard de suivi de nos patients. Il s’agit pour tous d’optimiser les thérapeutiques, d’augmenter la qualité des soins proposés. On va prouver ainsi, que tous les urologues peuvent s’impliquer dans la recherche et réfléchir pour le bien de nos patients à la façon d’aller vers des prises en charge moins intrusives, moins invasives.

 

Peut-on dire que les groupes privés expriment la volonté d’investir la recherche ?

Dr Priscilla Léon : L’AFU a largement laissé la place aux structures privées pour qu’elles s’engagent dans ce projet. De nombreuses cliniques ont fait part de leur intérêt dans cette collaboration public / privé. Grace à cet engagement, l’étude va disposer d’une large représentativité des patients dans toutes les régions et avec tous les types de suivis. Cela va conférer de la puissance à la recherche. C’est un vrai défi. Dans les CHU, il y a toujours de nombreux projets de recherche. Dans le secteur libéral, certains urologues continuent à s’investir dans la recherche mais cela ne représente pas la majorité des praticiens. Au-delà de l’intérêt scientifique à participer à cette étude il est important de préciser qu’elle a été conçue dans un cadre très simple à mettre en œuvre, quel que soit le lieu d’exercice de l’urologue.

 

Vous pouvez donc rassurer vos collègues, cette enquête s’intégrera facilement dans leur quotidien !

Dr Priscilla Léon : La grande crainte des libéraux est que l’étude soit chronophage. Cette crainte est légitime. Mais il n’y aura pas de charge de travail supplémentaire. Par rapport au secteur public, les médecins du privé ont moins de possibilités de déléguer des tâches administratives. C’est pour cela que toute une organisation a été mise en place avec des temps d’assistant de recherche clinique dédiés pour le recueil et l’analyses des données. L’urologue, sauf s’il souhaite entrer les données dans la base, pourra déléguer cette tâche à des ARC. Le rôle du médecin se limitera à la sélection et à l’inclusion très simple des patients. Il devra bien sûr à garder en mémoire quels sont les patients qui ont été inclus dans l’étude. De leur côté, les patients sont généralement plutôt favorables à l’idée de participer à une étude scientifique qui n’entraine aucune modification dans leur prise en charge. Dans le suivi de son patient, l’urologue proposera un des deux marqueurs et procédera à la cystoscopie normalement. Il ne connaîtra pas le résultat du marqueur au moment de la réaliser, d’où l’absence de biais possibles à ce niveau. Le médecin acceptera uniquement de transmettre les éléments de suivi de son patient. Il n’y aura donc aucune contrainte de temps ou de travail administratif supplémentaire, aucun surcout ni pour le médecin, ni pour le patient. Le schéma est simple et les résultats des marqueurs vont être identifiés rapidement. En 2 ans, nous aurons déjà des premiers éléments de réponse sur la place des marqueurs dans le suivi de nos patients.

 

Propos recueillis par Vanessa Avrillon

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