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Le curage ganglionnaire dans le cancer de la prostate : une mise au point du comité de cancérologie de l’association française d’urologie

Auteurs : L. Salomon, M. Peyromaure, G. Fromont, F. Rozet, D. Eiss, C. Bastide, P. Beuzeboc, N. Gachignard, L. Cormier, C. Hennequin, P. Mongiat-Artus, M. Soulié, le sous-comité prostate du CCAFU Référence : Prog Urol, 2012, 9, 22, 510-519 Mots clés : Cancer de la prostate, Curage ganglionnaire, Envahissement ganglionnaire, Hormonothérapie, Prostatectomie totale, Radiothérapie
Résumé

L’envahissement ganglionnaire est la première étape du processus métastatique dans le cancer de la prostate. Il contre-indique a priori le traitement local. Avant traitement, la détection des métastases ganglionnaires repose essentiellement sur la mise en évidence de ganglions hypertrophiés sur le scanner et l’IRM. Les performances diagnostiques de l’IRM ne sont pas meilleures que celles du scanner car ces deux méthodes utilisent les mêmes critères pour distinguer les ganglions normaux des ganglions métastatiques que sont la taille, la forme et l’architecture interne du ganglion. Le ganglion sentinelle est encore du domaine de centres experts. La meilleure évaluation du statut ganglionnaire repose sur le curage ganglionnaire. Limité au territoire ilio-obturateur, il sous-estime le risque de métastases ganglionnaires. C’est le curage ganglionnaire étendu « standard » associant au curage ilio-obturateur, un curage iliaque interne et iliaque externe bilatéral jusqu’à la bifurcation iliaque qui doit être effectué en cas de cancer de la prostate de risque intermédiaire ou élevé. La qualité d’un curage ganglionnaire nécessite au moins dix ganglions. L’envahissement ganglionnaire est un facteur de mauvais pronostic mais la valeur thérapeutique du curage ganglionnaire et son éventuelle influence sur le pronostic n’a pas été établie. Néanmoins, il semble exister une sous-population avec un ou deux ganglions envahis sans effraction capsulaire de meilleur pronostic. En cas d’envahissement ganglionnaire, l’hormonothérapie immédiate après chirurgie est le traitement de référence même s’il est actuellement remis en question en particulier dans cette sous-population et si le taux de PSA postopératoire est nul. Le rôle de la radiothérapie reste également à préciser. En revanche, il n’y aucun rôle pour une chimiothérapie.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.

Le curage ganglionnaire dans le cancer de la prostate : une mise au point du comité de cancérologie de l’association française d’urologie
Lymphadenectomy and prostate cancer: A statement of the committee of cancerology of the French association of urology
 
Introduction

Le curage ganglionnaire dans le cancer de prostate reste le moyen le plus précis pour évaluer l’atteinte ganglionnaire. La description des curages dits étendus (par opposition au simple curage ilio-obturateur) a remis en avant la question de sa réalisation, d’autant qu’à l’ère du PSA, son intérêt pronostique et thérapeutique reste discuté. Le but de cet article est de préciser sa place dans la prise en charge du cancer de la prostate.

Curage ganglionnaire : ilio-obturateur ou pelvien étendu ?

L’étendu du curage ganglionnaire réalisé lors de la prostatectomie totale (PT) est une source de discussion récente. Avec taux de PSA, une migration du stade au diagnostic avec une diminution de l’incidence des atteintes ganglionnaires (N+) a été progressivement observée. Di Marco et al. rapportaient un taux de 22 % de N+ en 1987 vs 2 % en 2001 [1]. La base de données Cancer of the Prostate Strategic Urologic Research Endeavor (CaPSURE) démontrait une modification des pratiques, avec une diminution de l’étendue du curage, voire l’absence de curage pour les cancers de la prostate à faible risque [2]. Les arguments sont la diminution du risque de métastases ganglionnaires, la réduction de la durée opératoire et de la morbidité [3, 4, 5]. Le curage limité au territoire ilio-obturateur sous-estime le risque de métastases ganglionnaires. Le curage étendu améliore la stadification, grâce au nombre accru de ganglions prélevés et à l’identification des ganglions positifs en dehors du territoire du curage limité [6, 7, 8, 9]. La localisation des ganglions métastatiques est variable, à l’intérieur et en dehors du pelvis [10]. Le curage ganglionnaire étendu « standard » associe au curage ilio-obturateur, un curage iliaque interne et iliaque externe bilatéral jusqu’à la bifurcation iliaque (Figure 1). C’est ce curage qui doit être effectué en cas de cancer de la prostate de risque intermédiaire ou élevé [11].

Le curage ganglionnaire de référence dans le cancer de la prostate associe de façon bilatérale un curage ilio-obturateur, un curage iliaque interne à un curage iliaque externe jusqu’à la bifurcation iliaque. Ce curage doit comporter au moins dix ganglions.
Un curage ganglionnaire doit être réalisé pour les tumeurs de risque intermédiaire ou élevé selon la classification de d’Amico.


Figure 1
Figure 1. 

Limites anatomiques du curage ganglionnaire dans le cancer de la prostate.



Imagerie et envahissement ganglionnaire

Le bilan radiologique ganglionnaire n’a pas lieu d’être demandé chez les patients à faible risque. La détection des métastases ganglionnaires repose essentiellement sur la mise en évidence de ganglions hypertrophiés sur le scanner et l’IRM [12, 13, 14]. Les performances diagnostiques de l’IRM ne sont pas meilleures à celles du scanner car ces deux méthodes utilisent les mêmes critères pour distinguer les ganglions normaux des métastatiques [15]. Ces critères sont [16] :

la taille : il n’y a pas de consensus sur la variation de taille discriminant un ganglion non métastatique d’un ganglion métastatique : Oyen et al. ont démontré qu’un ganglion dont le plus petit axe mesuré à plus de 6mm en TDM donnait une sensibilité et une spécificité respectivement de 78 % et 98 % [17]. La taille normale la plus souvent citée des ganglions pelviens est de 8mm et de 1cm à l’étage abdominal ;
la forme : un ganglion non pathologique est oblong et contient un hile graisseux. Les ganglions métastatiques ont une forme arrondie ;
l’architecture interne : les ganglions métastatiques ont un aspect hétérogène en séquence T2. La présence de nécrose est évocatrice d’une nature métastatique.

Étant donné la faible sensibilité et spécificité de chacun de ces critères pris isolément, il est nécessaire de les combiner pour améliorer la performance diagnostique [16].

TDM vs IRM : il est plus facile de distinguer les ganglions des vaisseaux en IRM plutôt qu’au scanner, particulièrement dans le pelvis. La littérature est discordante pour comparer la fiabilité de la TDM et de l’IRM, avec des taux rapportés respectivement de 67 % à 97 % pour la TDM et de 77 % à 93 % pour l’IRM [14]. Dans une méta-analyse datant de 2007 et reprenant 24 études, Hovels et al. ont montré que la TDM et l’IRM avaient une sensibilité (TDM : 42 %, IRM : 39 %) et une spécificité (TDM et IRM : 82 %) faibles et similaires dans la détection des ganglions métastatiques [18].

Pour améliorer la spécificité de l’imagerie, une ponction guidée sous scanner à l’aiguille fine de toute adénomégalie constatée a été proposée. Cette technique ne s’est pas imposée devant le curage ganglionnaire chirurgical.

Récemment, deux nouvelles méthodes d’imagerie ont été étudiées pour mieux caractériser les ganglions pelviens :

la première fait appel à l’imagerie de diffusion en IRM. Eiber et al. ont démontré, chez 29 patients (118 ganglions), qu’il y avait une différence significative entre la valeur du coefficient de diffusion (Apparent Diffusion Coefficient [ADC]) d’un ganglion métastatique et d’un non envahi (sensibilité 86 %, spécificité 85 % pour les ganglions supérieures à 13mm) [19]. La spécificité diminue nettement en dessous du seuil de 8mm. Cette méthode n’a donc que peu d’intérêt ;
la seconde concerne l’utilisation du PET CT à la Fluorocholine. Chez 25 patients à risque intermédiaire ou élevé, le PET CT a mis en évidence chez quatre patients une hyperfixation du traceur dans les ganglions, trois d’entre eux étant effectivement métastatiques [20]. Une seconde étude a porté sur 20 patients (285 ganglions dont 31 métastatiques après curage). Aucun d’entre eux n’a pu être détecté par le PET CT. Les auteurs de l’étude ne recommandent, donc, pas le PET CT à la Fluorocholine pour la détection des métastases ganglionnaires [21].

L’imagerie de l’extension ganglionnaire du cancer prostatique est insuffisante, et a conduit à la mise au point de nouveaux produits de contraste IRM destinés à améliorer la détection des métastases ganglionnaires en associant à l’imagerie morphologique, une imagerie fonctionnelle. Les particules superparamagnétiques d’oxyde de fer ont permis le développement de la lympho-IRM dès 1990. La détection des micrométastases repose sur la mise en évidence d’une chute partielle du signal (hyposignal) au sein des ganglions. Toutes les publications ont montré une amélioration des performances diagnostiques pour la détection des métastases ganglionnaires [22, 23, 24, 25]. Heesakkers et al. ont mis en évidence chez 375 patients que la probabilité d’avoir un ganglion métastatique en cas de lympho-IRM négative était inférieure à 4 % [26]. Selon ces auteurs, ce résultat serait suffisamment équivoque pour ne pas avoir à réaliser de curage ganglionnaire. Une étude a mis en évidence que chez 41 % des patients, la lympho-IRM au Ferumoxtran- 10, permettait de détecter des ganglions métastatiques à distance du curage ganglionnaire classique limité [27]. Malgré leur intérêt clinique démontré, les agents de contraste super paramagnétiques n’ont pas encore été homologués.

Le bilan radiologique à la recherche de ganglions métastatiques dans le cancer de la prostate sera réalisé ou non selon les caractéristiques du cancer en s’aidant des classifications pronostiques, des tables ou des nomogrammes prédictifs d’envahissement.
En attendant une future homologation des particules super paramagnétiques permettant de réaliser une lympho-IRM, l’IRM pelvienne reste l’examen de référence.

Ganglion sentinelle

Les territoires concernés par le curage étendu recommandé par l’AFU et l’EAU [11, 28] doivent comprendre au minimum la fosse obturatrice, le territoire iliaque interne et externe [29]. Si le curage radioguidé ne met en évidence que dix à 48 % des ganglions sentinelles (GS : premier relais ganglionnaire de la tumeur), des métastases ganglionnaires sont situées en dehors du territoire du curage standard [30, 31, 32]. La réalisation d’un curage élargi au-delà des limites du curage standard (fosse obturatrice, territoires iliaque interne et externe) est particulièrement morbide avec des taux de complications allant de huit à 36 % [4, 5, 7].

Améliorer l’efficience du curage au prix d’une morbidité acceptable pourrait être résolu par le curage radioguidé dont l’objectif est de prélever les GS. Ce concept est fondé sur la progression ordonnée des cellules tumorales dans le système lymphatique, sans saut de relais. Le ou les GS sont en théorie les premiers relais ganglionnaires qui drainent la tumeur et les premiers susceptibles d’être métastatiques. Le statut histologique du ou des GS est alors prédictif du statut ganglionnaire locorégional.

Ce concept dans la stadification ganglionnaire locorégional est utilisé dans d’autres néoplasies tels que le mélanome [33], le sein [34] ou encore le pénis [35].

Les modalités techniques et la réalisation du curage radioguidé sont complexes et nécessitent une collaboration multidisciplinaire (urologues, médecins nucléaires). Une injection péritumorale d’un marqueur radio-actif colloïdal est réalisée la veille de la PT. Ce marqueur très lymphophile va diffuser en quelques heures dans les premiers relais ganglionnaires où il sera identifié dans un premier temps à l’aide d’une lymphoscintigraphie. La topographie précise de ces GS sera facilitée par la réalisation d’un SPEC-CT préopératoire [36].

Le chirurgien peut déterminer en peropératoire les ganglions sentinelles à prélever avec l’aide du SPECT-CT et l’utilisation d’une sonde gamma. Cette technique permet aussi de détecter des ganglions localisés dans des sites inhabituels.

Cette technique dont peu d’équipes ont l’expertise, est reproductible avec une sensibilité variant entre 92 et 100 % [37, 38, 39]. Les causes d’échec sont les antécédents de chirurgie pelvienne et les macrométastases ganglionnaires [39]. Les résultats du curage radioguidé montrent que 40 à 70 % des métastases ganglionnaires fixantes sont localisées en dehors de la fosse obturatrice avec comme premier site de GS, le territoire iliaque interne [37, 38, 39].

Il reste à démontrer que le curage radioguidé peut être une alternative au curage standard.

La TDM et l’IRM sont les deux examens morphologiques permettant de mettre en évidence, avec des performances identiques, un envahissement ganglionnaire. Les critères reposent sur la taille (>6mm), la forme (arrondie) et l’architecture interne (aspect hétérogène, nécrose).

Curage de stadification

Le curage chirurgical reste le mode le plus fiable pour déterminer le statut ganglionnaire [28]. Cette procédure doit être effectuée à chaque fois que la présence d’un envahissement ganglionnaire modifie la prise en charge.

Risque d’envahissement ganglionnaire

Ce risque dépend du stade clinique, de la valeur initiale du taux de PSA, du score de Gleason [40, 41]. La plupart des nomogrammes ont été réalisés à partir d’analyses de curages limités ilio-obturateurs. Afin de réévaluer les critères à partir de curages étendus, Briganti et al. ont repris 278 prostatectomies consécutives avec curage étendu permettant d’établir une corrélation forte entre le pourcentage de biopsies positives et le risque d’envahissement ganglionnaire [42]. Un risque inférieur à 7 % est reconnu comme limite au-deçà de laquelle un curage ne sera pas nécessaire [28].

Avant PT, dans le groupe à faible risque (PSA10ng/mL et score de Gleason6 et T1c-T2a), le curage n’est pas recommandé [11, 28]. Mais, plusieurs publications rapportent un taux d’envahissement ganglionnaire non négligeable : Weckermann et al., sur une série de 235 patients classés à faible risque, avaient un taux d’envahissement ganglionnaire de 6,8 % si les biopsies sont positives sur un lobe et de 10,7 % en cas d’atteinte bilatérale [43]. Avec 463 patients, Burkhard et al. avaient 12 % de N+ avec un taux de PSA inférieur ou égal à 10ng/mL et 10 % si le taux de PSA inférieur ou égal à 10ng/mL et grade 1 ou 2 (tumeur bien ou moyennement différenciée sur une cytologie). Il n’y avait aucun envahissement en cas de grade 1 [44]. Schumacher et al. ont rapporté 11 % de N+ (avec curage extensif) sur 231 prostatectomies avec un taux de initial inférieur à 10ng/mL. Pour les tumeurs pT1-T2 et de score de Gleason inférieur ou égal à 6, ce taux était respectivement de quatre et 3 %.

En cas de tumeur de risque intermédiaire et élevé (taux de PSA supérieur à 10ng/mL ou score de Gleason supérieur à 6 ou T2b-T2c-T3a), le risque d’envahissement ganglionnaire est important. Pour les tumeurs secondairement classées pT3 et de score de Gleason supérieur ou égal à 7, le taux était, respectivement, de 34 % et 25 % [45]. Un curage étendu est recommandé pour ces tumeurs à risque intermédiaire ou élevé [11, 28].

Prise en charge anatomopathologique

Le curage ganglionnaire étendu trouve des ganglions métastatiques chez 5, 20 et 30–40 % des patients, respectivement, à risque de récidive bas, intermédiaire et élevé [6, 8, 9, 28]. Une analyse complète du curage permet d’augmenter le taux de métastases détectées par rapport aux méthodes standards : l’utilisation soit de la RT PCR, soit de coupes sériées couplées à l’immuno-histochimie, mettait en évidence des micrométastases chez 25 % des patients sans métastases détectées avec les méthodes usuelles [46, 47, 48]. L’utilisation systématique de ces techniques spécifiques apparaît difficile à appliquer en pratique quotidienne et la signification clinique des micrométastases ainsi révélées reste controversée.

En peropératoire, la technique du GS reste encore du domaine de la recherche clinique, malgré certains résultats récents prometteurs [49].

L’examen extemporané est controversé, car peu rentable en raison de la faible incidence métastatique (du moins dans les groupes à risque faible ou intermédiaire) et également peu fiable. Si les études rapportent une spécificité de l’examen de 100 %, la sensibilité est faible entre 30 % et 60 % [50, 51]. Cette faible sensibilité est liée à la présence de micrométastases souvent non détectées et à la difficulté de soumettre l’ensemble du curage à l’examen extemporané. De plus, il n’est pas démontré qu’il soit justifié de renoncer à la prostatectomie sur la seule présence d’une micrométastase ganglionnaire [52]. La demande d’examen extemporané du curage ne doit donc pas être systématique [46].

Les recommandations de l’International Society of Urological Pathology (ISUP) demandent de soumettre pour examen histologique tous les ganglions identifiables macroscopiquement [53]. Certains pathologistes prélèvent également la totalité du tissu adipeux du produit de curage.

La qualité d’un curage s’évalue par le nombre de ganglions prélevés, puisque le taux de métastases détectées augmente avec le nombre de ganglions présents. Un nombre minimum de 13 ganglions a été anciennement proposé [54]. Une enquête récente parmi les pathologistes de l’ISUP démontrait qu’actuellement un tel taux n’est pas la norme, car 86 % rapportaient moins de dix ganglions par curage [53]. Il est recommandé de préciser le nombre de ganglions retrouvés, même si un tel compte n’est pas toujours aisé ni reproductible : les ganglions pelviens ont la particularité d’être fréquemment en involution adipeuse, avec seulement la persistance d’une mince bande focale de tissu lymphoïde résiduel. Il est également recommandé de rapporter le diamètre de la métastase la plus volumineuse, ce paramètre étant le plus étroitement associé à la survie spécifique [53].

L’analyse du curage doit préciser le nombre de ganglions prélevés, le nombre de ganglions atteints, le diamètre de la métastase la plus volumineuse et l’existence d’une rupture capsulaire.
L’examen extemporané en cas de bilan radiologique négatif est de peu d’intérêt au cours de la PT, sa positivité n’impliquant pas l’arrêt de la procédure.

Pronostic du curage et valeur thérapeutique

L’envahissement ganglionnaire est un facteur de mauvais pronostic après PT [55]. La valeur thérapeutique du curage ganglionnaire et son éventuelle influence sur le pronostic n’a pas été établie. Les études sur le sujet sont rares, de faible niveau de preuve et contradictoires. Aucune étude prospective randomisée n’a été publiée entre les différents types de curage pelvien.

En cas de curage positif, le nombre de ganglions atteints pourrait avoir une valeur pronostique. Trois études rétrospectives ont inclus des patients chez lesquels une atteinte ganglionnaire avait été détectée par un curage étendu alors que le bilan préopératoire était négatif. Avec 122 patients, Shumacher et al. ont démontré que lorsqu’un ou deux ganglions étaient atteints, le taux de survie spécifique à dix ans était de 78,6 % [56]. Lorsque trois ganglions ou plus étaient atteints, ce taux était de 33,4 % (p <0,001). Briganti et al. ont démontré, chez 703 patients avec un suivi de dix ans, que le taux de survie spécifique à 15ans était de 84 % si un ou deux ganglions étaient atteints, versus 62 % si trois ganglions ou plus étaient atteints (p <0,001) [57]. Boorjian et al. ont démontré, chez 367 patients avec un suivi de 45mois, que le nombre de ganglions envahis était relié significativement à la survie sans progression et à la survie spécifique en distinguant trois catégories : un ganglion, deux ganglions et plus de trois ganglions envahis (survie spécifique à dix ans : 90 % si un ganglion positif vs 78 % si plus d’un ganglion positif) [58]. Dans ces trois études, le seuil discriminant était de trois ganglions tumoraux De même, Daneshmand et al. ont démontré avec un suivi de 11,4ans chez 235 patients présentant un envahissement ganglionnaire que, d’une part, avoir seulement un ou deux ganglions envahis offrait une meilleure survie globale et, d’autre part, que la densité des ganglions positifs (rapport entre le nombre de ganglions positifs sur le nombre de ganglions retirés), permettait de distinguer des tumeurs à faible ou haut risque de progression, le seuil de densité étant à 20 % [59]. Ce seuil de densité est de 15 % pour Allaf [60].

Ces résultats suggèrent qu’un curage ganglionnaire étendu pourrait avoir un impact pronostique en améliorant le statut ganglionnaire et en identifiant les patients à faible et forte masse ganglionnaire métastatique de pronostic différent et apporter un bénéfice sur la survie sans récidive biologique [56, 60].

En cas de curage négatif, le rôle de la valeur thérapeutique du curage étendu est plus contradictoires. Avec 7036 patients classés pT2-4 pN0 sans traitement adjuvant, Di Marco et al. ont rapporté que le nombre de ganglions retirés n’était associé ni à la récidive biologique, ni à la survie spécifique même chez les patients à haut risque [1]. Murphy et al. n’ont pas trouvé de corrélation entre le nombre de ganglions retirés et le risque de récidive biologique [61]. Cependant, Schiavina et al. ont présenté des résultats opposés en étudiant une série de 614 pT2-4 pN0 : 295 ont eu un curage limité (un à neuf ganglions retirés) et 319 ont eu un curage étendu (supérieur ou égal à dix ganglions retirés). Avec un suivi de cinq ans, le risque de récidive était significativement réduit dans le deuxième groupe. Schiavina et al. suggéraient qu’un curage étendu pourrait avoir un rôle thérapeutique en retirant certaines micrométastases ganglionnaires et des embols lympho-vasculaires non identifiés lors de l’analyse [62].

L’équipe de Scardino a analysé les données de 4611 patients opérés pour un cancer cliniquement localisé [63]. Avec un nombre médian de ganglions retirés égal à 9, il y avait 3,8 % de tumeurs pN+. Le nombre de ganglions retirés n’était pas associé au risque de récidive. En revanche, en sélectionnant seulement les patients pN0, le nombre de ganglions retirés était significativement associé au risque de récidive biologique, mais uniquement en analyse univariée.

L’étude de Joslyn et Konety a inclus 13020 patients du programme SEER opérés entre 1988 et 1991, avec dix ans de recul au moins [64]. Parmi eux, 29 % n’avaient pas eu de curage, 62 % avaient eu un curage d’au moins quatre ganglions et 36 % un curage d’au moins dix ganglions. En prenant l’ensemble de la cohorte (patients pN+ et pN0), un meilleur taux de survie spécifique à dix ans était noté à partir de 4 ganglions retirés (HR=0,77 ; p =0,0069). En ne sélectionnant que les patients pN0, un meilleur taux de survie spécifique était noté à partir de dix ganglions retirés (HR=0,85 ; p =0,038). Cette étude suggère qu’un curage même limité (plus ou égal à quatre ganglions) a un impact pronostique favorable. Chez les patients n’ayant pas d’atteinte ganglionnaire, seul un curage extensif (plus ou égal à dix ganglions) pourrait réduire la mortalité à long terme.

Si l’envahissement ganglionnaire représente un facteur de mauvais pronostic, sa valeur thérapeutique est discuté : l’existence d’un ou deux ganglions au sein d’un curage de qualité (au moins dix ganglions retirés) représente une sous-population de meilleur pronostic qui pourrait ne pas bénéficier d’un traitement hormonal immédiat, ce d’autant plus que le taux de PSA postopératoire est nul.

Que faire en cas d’un envahissement ganglionnaire ?
Pendant la prostatectomie totale

Il n’est pas nécessaire de demander un examen extemporané du curage ganglionnaire si l’imagerie ne montre pas d’anomalie. Dans ce cas, même en cas de curage positif, la PT ne doit pas être interrompue, car il existe une amélioration des résultats carcinologiques [52, 56, 59]. Engel démontrait une amélioration significative de la survie globale et spécifique après comparaison au sein de 1413 patients avec curage positif, des 957 avec PT avec les 456 dont la procédure a été abandonnée [65]. Il s’agit d’une étude rétrospective avec deux groupes inhomogènes, avec des tumeurs T4 pour 23,7 % des patients du groupe sans prostatectomie contre 5,2 % dans le groupe prostatectomie et un taux de PSA supérieur à 20ng/mL pour 65 % des patients dans le groupe sans prostatectomie contre 41,9 dans le groupe avec.

Traitement complémentaire par radiothérapie

Deux cas de figures sont possibles, selon que le patient ait eu ou non une PT faisant suite au curage positif.

Sans prostatectomie totale

Il s’agit d’un curage de staging ou la positivité du curage a fait interrompre le geste chirurgical. Le traitement repose habituellement sur une hormonothérapie.

La radiothérapie seule, sans hormonothérapie, permet d’obtenir, globalement, une survie sans récidive à cinq ans de 30 % [66] et une survie globale à dix ans de 30 % également. Dans des séries anciennes, de longs survivants (à 15ans) sont régulièrement retrouvés [67].

Deux essais randomisés récemment ont comparé hormonothérapie longue avec ou sans irradiation : Warde et al. ont conclu à un bénéfice significatif en faveur de l’association en terme de survie globale et de survie spécifique [68] ; Mottet et al. ont conclu à une amélioration franche du contrôle biochimique et de la survie sans métastase à cinq ans [69]. Dans ces deux essais, le statut ganglionnaire n’était pas connu.

Les données sont moins claires pour les patients avec atteinte ganglionnaire histologiquement prouvée. L’étude rétrospective du MD Anderson a comparé hormonothérapie seule ou associée à une irradiation [70] : à dix ans, le taux de contrôle biochimique est de 25 % en cas d’hormonothérapie seule contre 80 % en cas de traitement combiné. Elle mettait en évidence l’intérêt du contrôle local qui prévient très probablement la survenue de métastases.

Il semble difficile de comparer l’impact pronostique du nombre de ganglions positifs entre les séries de radiothérapie et de chirurgie. Le nombre de ganglions positifs est un facteur pronostique important de survie spécifique, le chiffre de deux est la limite la plus consensuelle.

Si l’envahissement ganglionnaire n’est pas important (moins de deux ganglions positifs), il peut sembler logique de compléter l’hormonothérapie par une irradiation complémentaire.

Après prostatectomie totale

Les essais de l’EORTC 22863 [71] et de du RTOG 85-31 [72] ont démontré l’intérêt de l’association hormono-radiothérapie : seulement quatre et 28 % des patients avaient une atteinte ganglionnaire histologiquement prouvée et une irradiation pelvienne étendue était réalisée.

L’analyse spécifique du sous-groupe des patients avec atteinte ganglionnaire de l’essai RTOG 85-31 a montré que l’adjonction d’une hormonothérapie à l’irradiation améliorait significativement la survie sans métastase, mais pas la survie spécifique ou la survie globale [73, 74].

Les données concernant le rôle de la radiothérapie dans cette situation sont rares. Une série italienne de 703 patients classés pT2-4, tous pN+ M0 traités par PT, a étudié l’impact de l’hormonothérapie adjuvante avec ou sans irradiation complémentaire [75] : 67,9 % des patients avaient des marges positives et 30,9 % un score de Gleason 8-10. La radiothérapie consistait en une irradiation des aires ganglionnaires à une dose médiane de 50,4Gy et une irradiation de la loge prostatique à la dose de 68,4Gy. Après appariement, un groupe de 117 patients traités par hormonothérapie et radiothérapie a été comparé à un groupe traité par hormonothérapie seule. Les survies spécifiques à dix ans étaient de 86 % versus 70 % (p =0,004) en faveur du traitement combiné. Pour les patients avec deux ganglions ou moins atteints, la survie spécifique à dix ans était de 86 et 74 %, respectivement, et de 87 et 62 % si plus de deux ganglions étaient positifs.

Traitement hormonal

La suppression androgénique après PT en cas de pN+ reste débattue, tant en ce qui concerne l’indication et le moment d’installation du traitement qu’en ce qui concerne sa conduite continue ou intermittente.

En 1999, Messing et al. ont publié les résultats d’un essai prospectif randomisé en double insu comparant suppression androgénique adjuvante et de rattrapage, chez les patients présentant un envahissement ganglionnaire, résultats réactualisés en 2004, avec des conclusions identiques [76, 77]. Quatre-vingt-dix-huit patients ont reçu soit une suppression androgénique immédiate par orchidectomie ou gosereline soit ont été simplement suivis jusqu’à progression clinique et ont reçu alors une suppression androgénique. Après un suivi de 7,1ans, la survie globale des patients traités de façon adjuvante était significativement plus longue que celle des patients témoins. Trois patients du groupe adjuvant contre 16 du groupe témoin sont décédés de cause spécifique, soient des survies spécifiques à cinq ans de 95 et 75 %. La mortalité spécifique était 6,2 fois supérieure dans le groupe témoin comparé au groupe adjuvant.

L’étude de Messing et al. sert de référence, mais un certain nombre de critiques peuvent être formulées : l’étude était faite pour inclure 240 patients, mais n’en a recruté que 98. Le pronostic des patients pN+ est très hétérogène et si 100 % des patients étaient pN+, 70 % étaient aussi pT3b ou avaient des marges positives ou un score de Gleason élevé. De plus, 20 % gardaient un PSA postopératoire détectable, ce qui ne permettait plus de parler de traitement adjuvant, mais de traitement de rattrapage. Le faible effectif n’a pas autorisé d’analyses de sous-groupes, pourtant rendues essentielles par l’hétérogénéité des facteurs de risque. Les modalités thérapeutiques appliquées au groupe témoin comme les critères d’introduction de la suppression androgénique, n’ont pas été clairement précisées, laissant supposer une hétérogénéité dans leur prise en charge. Elle pourrait expliquer le pronostic défavorable des patients témoins, dont la survie spécifique à sept ans n’était que de 62 %, contrastant avec une survie proche de 80 % retrouvée dans la majorité des séries comparables et contemporaines [78]. Or, le profil des patients étudiés ne correspond plus au profil de ceux traités aujourd’hui : la modalité du curage chez Messing et al. était limitée aux territoires obturateurs et sous-veineux. Il est particulièrement surprenant que seuls les pN+ bénéficient d’une suppression androgénique précoce, alors qu’aucune autre étude n’a clairement montré de bénéfice en survie pour l’hormonothérapie adjuvante après PT [79].

Inversement, une étude rétrospective de cohorte menée sur la base SEER a porté sur 731 patients opérés par PT et curage ganglionnaire entre 1991 et 1999 [80]. Les patients avaient été traités par suppression androgénique soit adjuvante soit différée. Aucune différence de survie globale n’a été mise en évidence entre les deux groupes quel que soit le délai utilisé pour commencer le traitement adjuvant, 90, 150, 180 ou 365jours.

L’indication d’une suppression androgénique peut être posée pour un patient pN+, que ce soit en situation de rattrapage pour un PSA « non négativé » ou une progression biologique différée. Ces situations peuvent concerner ces patients qui sont de bons candidats à un traitement intermittent. Ses modalités (indication et application) n’ont pas de spécificité dans cette indication [81].

L’hormonothérapie immédiate après PT reste le traitement de référence en cas d’envahissement ganglionnaire même s’il n’y a pas d’argument pour recommander systématiquement une suppression androgénique adjuvante à la PT pour les patients pN+. Ce traitement est remis en question à l’ère du PSA et pourrait ne pas être nécessaire en cas de faible atteinte ganglionnaire (un ou deux ganglions envahis). Si une suppression androgénique est décidée, elle peut être conduite de façon intermittente. La place de la radiothérapie reste à être définie. La chimiothérapie n’a pas d’indication.

Chimiothérapie néo-adjuvante et adjuvante

Aucune étude prospective n’a évalué spécifiquement l’intérêt de la chimiothérapie en cas d’atteinte ganglionnaire. Dans l’étude GETUG12 comparant une hormonothérapie à une hormonothérapie associée à une chimiothérapie par docetaxel et phosphate d’estramustine avant traitement local par radiothérapie ou chirurgie, un curage ganglionnaire initial permettait de stratifier les patients en fonction de l’envahissement ganglionnaire. Les données avec un recul de quatre ans ne démontraient pas de bénéfice significatif en faveur du bras chimiothérapie.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.


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