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CHIRURGIE DES CANCERS DES ORGANES GENITAUX EXTERNES : Le curage inguinal dans les tumeurs du pénis

Auteurs : François IBORA, Christophe AVANCES, Cyril BASTIDE Référence : Prog Urol, 2005, 1035 Mots clés : Cancer, Curage ganglionnaire, Pénis, Technique chirurgicale

I. Rappel anatomique et limites des curages [7]

La région anatomique du curage inguinal est le triangle fémoral. Il est limité en haut par le ligament inguinal, en dehors par le muscle sartorius, en dedans par le muscle long adducteur. Son plancher est formé de dehors en dedans par le muscle psoas iliaque et le muscle pectiné.

Le sommet inférieur est la confluence du muscle sartorius et du muscle long adducteur (Canal de HUNTER). Le triangle fémoral est traversé par le paquet vasculaire fémoral comprenant de dehors en dedans le nerf fémoral, l’artère, la veine fémorale, et le paquet lymphatique.

La peau et le tissu cellulaire sous cutané de la région inguinale sont vascularisés par des branches de l’artère fémorale. Leur trajet est horizontal, parallèle au ligament inguinal. Cette vascularisation explique le trajet des incisions inguinales qui doivent rester parallèles aux plis.

Au niveau du triangle inguinal on trouve 2 fascias : le fascia superficiel et le fascia profond. Le fascia superficiel est formé de 2 feuillets, entre lesquels chemine la grande veine saphène.

Le fascia profond (fascia lata) est une extension du fascia abdominal. Il va participer aux 3 compartiments du canal fémoral. C’est le plan du curage profond du curage inguinal.

Les ganglions sont répartis en 2 plans: un plan superficiel entre les 2 feuillets du fascia superficiel, centré par la crosse de la grande veine saphène, et un plan profond. Les ganglions inguinaux se drainent vers les ganglions pelviens (iliaques externes, internes, primitifs). Il n’y a pas de drainage lymphatique direct du pénis vers les ganglions pelviens, et donc jamais d’atteinte clinique ganglionnaire pelvienne en l’absence de métastases inguinales.

II. Les deux types de curages possibles

deux types de curages inguinaux sont possibles : le curage radical prélève tous les ganglions superficiels et profonds du triangle fémoral. Il met à nu les vaisseaux fémoraux et nécessite un recouvrement par transfert musculaire. Sa morbidité [3] a conduit au développement d’un curage plus limité: le curage modifié selon Catalona [4]. Ce dernier trouve sa justification dans le drainage inguinal préférentiel du pénis vers les groupes ganglionnaires centrés par la crosse de la grande veine saphène, en particulier les groupes supéro-médians et inféro-médians. Le curage inguinal modifié selon Catalona prélève les ganglions inguinaux superficiels en avant et en dedans de la crosse de la grande veine saphène et les ganglions profonds situés en dedans des vaisseaux fémoraux [3, 8, 11]. La grande veine saphène est respectée. Sa morbidité est très inférieure à celle du curage radical.

III. Rationnel

L’évaluation ganglionnaire inguinale est un temps fondamental du traitement des cancers du pénis. En cas d’envahissement ganglionnaire, le curage radical est souvent considéré comme curateur. Ses indications sont maintenant bien codifiées: il est systématique pour toutes les lésions infiltrantes ou de grade 3 et toujours bilatéral. Son extension dépend de la nature histologique des ganglions prélevés lors du curage modifié initial.

Il n’existe pas encore actuellement de technique fiable de sélection des patients devant subir un curage (cytologie à l’aiguille, biopsie du ganglion sentinelle ou immuno scintigraphie): manque de sensibilité pour les unes, en cours de validation pour les autres [4, 9, 13].

Le curage inguinal modifié selon Catalona est la technique d’évaluation inguinale initiale en raison de sa fiabilité, de sa morbidité réduite et de reproductibilité [12]. Il est systématique pour toutes les lésions à haut risque d’envahissement ganglionnaire (lésion infiltrante ou lésion non infiltrante de grade 3), il se discute dans les lésions de risque intermédiaire [10]. Il est toujours bilatéral. Ce curage doit être totalisé en cas d’envahissement ganglionnaire lors de l’examen extemporané du côté de l’envahissement.

IV. La période pré-opératoire

L’information du patient est assurée par le chirurgien. L’annonce se fait dans le cadre du projet personnalisé de soin à l’issue d’une discussion multidisciplinaire.

Le patient sera en particulier informé sur la bilatéralité du curage et la possibilité d’un curage radical voire pelvien en fonction des constations per-opératoires. Il doit être prévenu des risques et contraintes de chacune des techniques de curage.

La réalisation d’un curage inguinal implique une analyse anatomopathologique extemporanée systématique. Si le geste est poursuivi par un curage radical, une nouvelle analyse extemporanée est nécessaire (curage pelvien homolatéral en cas de métastase ganglionnaire) [10]. L’anatomopathologiste devra être prévenu de la durée potentielle de ces examens successifs et bilatéraux.

Le site opératoire, les organes génitaux externes et le pubis sont tondus la veille de l’intervention ou rasés en pré opératoire immédiat puis désinfectés [2]. Une antibioprophylaxie à large spectre est systématique. Certains auteurs recommandent de réaliser le curage sous couvert d’une antibiothérapie de 4 semaines prescrite dans les suites immédiates de la pénectomie (limitation du risque d’adénite infectieuse) [11]. Dans ce cas, l’usage d’une fluoroquinolone est recommandé (accord d’expert).

Le risque de phlébite peut être minimisé par une hydratation pré opératoire optimale, le port de bas de contention adaptés aux mensurations du patient et l’usage d’héparine de bas poids moléculaire [2, 3, 11].

V. L’intervention type : le curage modifié (selon Catalona) [4]

1. Installation / sondage

Le patient est installé en décubitus dorsal, avec abduction et rotation externe des cuisses pour exposer le triangle de scarpa (position de la grenouille) [8]. Le patient est sondé. Les organes génitaux sont isolés des champs opératoires [2]. Le tracé de l’incision peut être repéré au stylo dermographique.

2. Incision

L’incision cutanée est parallèle au ligament inguinal pour respecter le trajet des artères sous cutanées. Elle mesure 6 à 10 cm et elle est située à 2 cm sous le ligament inguinal [2, 3, 11]. Elle franchit le feuillet superficiel du fascia inguinal superficiel. La dissection s’effectue sous ce plan [11]. Les berges de l’incision ne sont pas traumatisées, l’exposition s’effectuant grâce à des fils tracteurs fixés au fascia superficialis [2]. Ces détails techniques limitent le risque de nécrose cutanée.

3. Dissection et limites

Les limites du curage sont la grande veine saphène en dehors, le bord externe du muscle long adducteur en dedans, le ligament inguinal en haut, la confluence muscle Sartorius / muscle long adducteur en bas [2]. Le curage ne s’étend pas au dessus du ligament inguinal [2, 6] [bien qu’il n’existe pas de consensus sur ce point particulier] ni en arrière des vaisseaux fémoraux [4] en l’absence d’éléments ganglionnaires palpables.

La dissection est débutée vers le haut en regard du ligament inguinal. Les vaisseaux lymphatiques sont sectionnés après lymphostase, au mieux réalisée par des ligatures au fil résorbable. Le paquet ganglionnaire interne est séparé du paquet externe. La crosse de la grande veine saphène est respectée après dissection de la jonction saphéno fémorale. Ses collatérales sont sectionnées après ligature, mais le tronc veineux est respecté. La dissection se termine par le sommet inférieur du paquet ganglionnaire interne et superficiel.

Le groupe ganglionnaire profond situé sous le fascia lata est ensuite enlevé depuis le canal inguinal en haut jusqu’à l’extrémité distale de la fosse ovale en bas [11]. La limite externe correspond au bord interne de l’artère fémorale. La limite interne est représentée par le muscle long adducteur. Le curage ne s’étend pas en arrière de la veine fémorale. La transposition du muscle Sartorius est inutile.

4. Drainage et fermeture

La fermeture pariétale s’effectue plan par plan. Le drainage aspiratif préconisé par certains auteurs [11] est considéré comme facultatif par d’autre [2, 3] si une colle biologique est utilisée (vaporisation de 5 ml de BioGlue®, Cryolife Inc, USA).

• Phase post opératoire

Le lever s’effectue dès le premier jour post opératoire sans restriction de flexion de cuisse [2, 3]. Le port de bas de contention est recommandé pour une durée de 6 à 8 semaines [11]. L’usage d’anticoagulants est recommandée pour limiter le risque de phlébite post opératoire [11].

La morbidité du curage modifié reste acceptable, 7% de complications post opératoires précoces contre 41% pour le curage radical. Les complications les plus fréquentes sont l’infection, les désunions cicatricielles, les lymphocèles et les nécroses cutanées. La morbidité tardive est également très différente entre le curage modifié (3,4%) et le curage radical (43%) [3].

VI. Les autres curages

1. Curage inguinal radical

a) Rationnel

La lymphadénectomie inguinale radicale a pour but de retirer tous les ganglions inguinaux superficiels et profonds. Cela impose le sacrifice de la veine saphène, une dissection médiale et latérale des vaisseaux fémoraux, nécessitant la couverture des vaisseaux fémoraux par transfert du muscle sartorius. La morbidité de ce curage est importante, mais il peut avoir une valeur curatrice. Il doit être systématique en cas d’envahissement ganglionnaire observé lors de l’analyse histologique extemporanée du curage modifié.

b) Technique (les points de différence avec le curage modifié) [5]

L’incision est identique, mais souvent prolongée. Les lambeaux et leurs règles de manipulation sont identiques, mais le lambeau supérieur est développé vers le haut jusqu’à 2 cm au delà du ligament inguinal. La limite latérale de la dissection est le muscle sartorius, et la limite médiale le muscle long adducteur et le tubercule pubien. Le décollement du lambeau inférieur va jusqu’à la jonction des muscles sartorius et long adducteur (canal de Hunter).

Le curage est débuté au niveau du ligament inguinal en le dépassant vers le haut de 2 cm, et doit aller de l’épine iliaque antéro-supérieure (EIAS) au tubercule pubien. Les branches de la grande veine saphène sont liées avec un fil résorbable. Elle peut rarement être préservée par une dissection méticuleuse. Le plus souvent il faut la sectionner entre deux ligatures au niveau de sa crosse et du canal de HUNTER. Les limites du curage sont alors définies : muscle sartorius en dehors, muscle grand adducteur en dedans, et canal de Hunter en bas.

Les vaisseaux fémoraux sont abordés une fois le curage superficiel terminé. La veine fémorale est facilement repérable en suivant la crosse de la saphène dans la traversée de la fosse ovale. Les branches de l’artère fémorale sont liées. Le tissu cellulo-ganglionnaire situé en dedans de la veine fémorale est emporté avec le fascia entourant les vaisseaux fémoraux. Il ne faut pas aller en arrière des vaisseaux fémoraux.

Le muscle sartorius est désinséré de l’EIAS, transféré en avant des vaisseaux fémoraux, et suturé au ligament inguinal.

La fermeture et le drainage sont identiques à ceux du curage modifié.

c) Suites opératoires

Le patient doit rester alité 5 jours, sans flexion des cuisses, puis la déambulation est autorisée. La position assise est autorisée à partir du quinzième jour [3]. Une kinésithérapie de drainage lymphatique est recommandée ainsi que le port des bas de contention pendant 6 mois.

La morbidité de ce curage radical est importante, dominée par les lymphoedèmes, lymphoceles, infections locales et nécroses cutanées [1]. A partir d’une série de 58 lymphadénectomies inguinales, Bouchot [3] rapporte 24 (41.4%) complications immédiates (< 3mois), et 25 (43.1%) complications tardives (> 3 mois), principalement sous forme de lymphoedèmes invalidants des membres inférieures, ou de thromboses veineuses profondes.

2. les curages extensifs de la région inguinale [14]

Des résections plus étendues des régions inguinales peuvent être discutées dans certaines circonstances particulières: volumineuses lésions résiduelles après chimiothérapie ou radiothérapie première (lésions non opérables d’emblée), récidives ganglionnaires inguinales après un curage.

Cette chirurgie ne s’adresse qu’à des patients susceptibles de subir une chirurgie lourde, morbide, et ayant une bonne espérance de vie. Elle sera souvent réalisée à plusieurs équipes: urologue, chirurgien vasculaire, chirurgien plasticien.

Cette chirurgie extensive peut nécessiter des sacrifices tissulaires importants. Les exérèses cutanées larges nécessitent un comblement par transfert musculo-cutané. Le lambeau le plus adapté semble être le lambeau myocutané droit interne, vascularisé par l’artère épigastrique inférieure. Il semble préférable d’utiliser le lambeau controlatéral à la région inguinale opérée.

Si l’artère fémorale peut être sacrifiée et remplacée par une prothèse, celui de la veine fémorale est à éviter (risques importants de thromboses). Le nerf fémoral peut être sacrifié, avec des séquelles limitées si la section est faite au dessous du ligament inguinal.

3. Le curage pelvien

Il comprend les ganglions iliaques primitifs distaux, les ganglions iliaques externes, et les ganglions obturateurs. Le curage est effectué uniquement en dedans des vaisseaux iliaques. Ce curage n’a rien de spécifique et fait partie de la routine urologique. Il ne nécessite donc pas de description spécifique.

Références

1. BEVAN-THOMAS R.,SLATON JW., PETTAWAY CA. Contemporary morbidity from lymphadenectomy for penile squamous cell carcinoma: the M.D. Anderson Cancer Center Experience. J Urol,2002,167, 1638-42.

2. BOUCHOT O, RIGAUD J, Encyclopédie médico chirurgicale, 2004, 41-460

3. BOUCHOT O, RIGAUD J, MALLET F, HETET JF, KARAM G. Morbidity of inguinal lymphadenectomy for invasive penile carcinoma. Eur Urol, 2004, 45 : 761- 766.

4. CATALONA W.J. Modified inguinal lymphadenectomy for carcinoma of the penis with preservation of saphenous veins: technique and preliminary results. J Urol, 1988, 140(2): 306-310.

5. CRAWFORD ED., DANESHGARI F. Management of regional lymphatic drainage in carcinoma of the penis. Urol Clin North Am,1992,19, 305-17

6. DASELER EH., ANSON BJ.,REIMANN AF. : Radical excision of the inguinal and iliac lymph glans: A study based upon 450 anatomical dissections and upon supportive clinical observations.Surg Gynecol Obstet., 1948, 87, 679-85.

7. DEWIRE, D., LEPOR, H. : Anatomic considerations of the penis and its lymphatic drainage. Urol Clinics of North America., 1992, vol. 19, 211-19

8. JACOBELLIS U. Modified radical inguinal lymphadenectomy for carcinoma of the penis : technique and results. J Urol, 2003, 169: 1349- 1352.

9. LONT AP, HORENBLAS S, TANIS PJ, GALLEE MPW, VAN TINTEREN H, NIEWEG OE. Management of clinically node negative penile carcinoma: improved survival after introduction of dynamic sentinel node biopsy. J Urol, 2003, 170: 783- 786

10. Mottet M, Avances C, Bastide C, Culine S, Ibora F, Kouri G, Lesourd A, Michel F, Rocher L. cancer du testicule. Recommandations. progrès14. 4 (supl 1): 891-901. 2004

11. PARRA RO. Accurate staging of the penis in men with nonpalpable inguinal lymph nodes by modified inguinal lymphadenectomy. J Urol, 1996, 155 : 560- 563.

12. SANCHEZ- ORTIZ RF, PETTAWAY CA. The role of lymphadenectomy in penile cancer. Urologic Oncology, 2004, 22: 236- 245.

13. SCAPPINI P, PISCIOLI F, PUSIOL T, HOFSTETTER A, ROTHENBERGER K, LUCIANI L. Penile cancer. Aspiration biopsy cytology for staging.Cancer. 1986, 58(7):1526-33.

14. SCOTT.MC DOUGAL W. Cancer of the penis.Regional therapy and lymphadenectomy. In:Raghavan D LS, . Scher HI,. Lange P. (ed): Principles and Pratice of Genitourinary Oncology, Philadelphia: Lippincott-Raven 1997, 967-72

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