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Analyse de l’évolution des pratiques chirurgicales pour la prise en charge des tumeurs primitives du rein dans la période 2006–2010 : à propos d’une série de 458 chirurgies consécutives

Référence : Prog Urol, 2012, 9, 22, 520-528
Résumé
Objectif

La plupart des petites tumeurs rénales sont accessibles à la chirurgie conservatrice qui assure des résultats carcinologiques équivalents à ceux de la néphrectomie élargie avec un risque moindre de complications cardiovasculaires, de séjours hospitaliers et de décès. Les recommandations internationales de prise en charge des tumeurs rénales primitives placent la néphrectomie partielle comme nouveau standard de traitement chirurgical des tumeurs de stade T1. Dans ce contexte, les auteurs se sont intéressés à l’évolution de leurs pratiques chirurgicales entre 2006 et 2010 dans un centre hospitalo-universitaire.

Patients et méthodes

Étude rétrospective d’une cohorte de 446 patients consécutifs traités chirurgicalement pour tumeur rénale primitive entre 2006 et 2010.

Résultats

Au total, 458 chirurgies rénales ont été réalisées : 184 (40,2 %) néphrectomies partielles et 274 (49,8 %) néphrectomies élargies. Au cours de la période d’étude, il a été mis en évidence pour les tumeurs T1a : une augmentation moyenne annuelle des néphrectomies partielles de 10 % (p =0,002), pour les T1b, une tendance non significative à l’augmentation des chirurgies conservatrices. Il existait également une augmentation significative des néphrectomies partielles réalisées de manière laparoscopique, avec un taux d’augmentation moyenne annuelle de 8 % par an (p =0,02). À la fin de la période d’étude, un patient sur deux, tous stades confondus, était traité par chirurgie conservatrice. Ces changements de pratique sont intervenus sans augmentation de la morbidité per et postopératoire (p =0,39).

Conclusion

L’étude de la cohorte des patients traités chirurgicalement dans notre centre universitaire entre 2006 et 2010 ne mettait pas en évidence pas de sous-utilisation de la chirurgie conservatrice par rapport aux recommandations françaises et internationales. Cette évolution vers plus de néphrectomies partielles s’est faite sans augmentation de la morbidité chirurgicale, ni diminution du contrôle carcinologique. Cependant, le taux plus élevé de marges chirurgicales positives dans le groupe traité par néphrectomie partielle laparoscopique doit inciter à la prudence.

Le texte complet de cet article est disponible en PDF.
Analyse de l’évolution des pratiques chirurgicales pour la prise en charge des tumeurs primitives du rein dans la période 2006–2010 : à propos d’une série de 458 chirurgies consécutives
Analysis of the evolution in surgical practice for the treatment of primary renal tumours during the period 2006–2010: Apropos of series of 458 consecutive surgeries
 
Abréviations

NP : néphrectomie partielle
NPO : néphrectomie partielle ouverte
NPL : néphrectomie partielle laparoscopique
NE : néphrectomie élargie
NEO : néphrectomie élargie ouverte
NEL : néphrectomie élargie laparoscopique
SDRA : syndrome de détresse respiratoire aiguë

Introduction

Les données épidémiologiques récentes ont mis en évidence une augmentation de l’incidence des tumeurs du rein et un diagnostic plus précoce [1, 2]. Les données du SEER ont ainsi fait apparaitre que les tumeurs du rein de moins de 4cm de diamètre (stade T1a) représentaient 39 % entre 1998 à 2002, contre 30 % entre 1988 et 1992 [3]. Parallèlement, plusieurs auteurs ont souligné que le sacrifice néphronique supplémentaire entrainé par la réalisation de la néphrectomie élargie, comparé à la néphrectomie partielle avait un impact sur la survie globale, en relation avec une augmentation de la mortalité cardiovasculaire [4, 5, 6].

Les Recommandations du comité de cancérologie de l’Association française d’urologie (CCAFU) [7], de même que les recommandations de l’EAU [8] et de l’AUA [9] ont évolué, faisant une place plus large à la néphrectomie partielle.

Les recommandations 2010 prévoient ainsi : « la néphrectomie partielle est recommandée pour le traitement de toutes les tumeurs T1 sous réserve de l’obtention de marges saines et d’une morbidité prévisible acceptable », alors que les recommandations 2007 considéraient que la néphrectomie élargie était le traitement de référence pour les tumeurs limitées au rein de diamètre compris entre 4 et 7cm (stade T1b) [7, 10].

Concernant la place de la laparoscopie dans la chirurgie partielle du rein, les recommandations n’ont en revanche pas évolué. Les Recommandations du CCAFU 2010 considèrent que « la chirurgie ouverte est la technique de référence de la néphrectomie partielle. La chirurgie ouverte est recommandée dans les indications impératives », réservant la voie laparoscopique à « des équipes entrainées et chez des patients sélectionnés ». Cette position s’appuie sur les résultats fonctionnels de séries de néphrectomies partielles laparoscopiques, soulignant en particulier le danger d’un temps de clampage excédant 30minutes [11], voire 25minutes pour certains [12], et un risque majoré de complications [13].

Afin de savoir si cette évolution des recommandations a été suivie d’effet en pratique, nous avons étudié la série consécutive des patients traités au sein de la fédération du CHU Toulouse pour tumeur primitive du rein dans la période 2006 à 2010, et analysé nos pratiques en regard de l’évolution des recommandations du comité de cancérologie de l’Association Française d’urologie.

Patients et méthode
Population

Sur la période 2006 à 2010, 458 chirurgies chez 446 patients ont été réalisées pour tumeur primitive du rein au sein de la Fédération d’urologie du CHU de Toulouse (274 néphrectomies élargies, 184 néphrectomies partielles). Les patients traités par traitements conservateurs thermoablatifs (n =74) ont été exclus. Les caractéristiques des patients et de leur maladie sont résumées dans le Tableau 1.

Méthode

Une base de données a été constituée rétrospectivement, renseignant 70 variables par chirurgie, comportant les données socio-démographiques (âge, sexe); les antécédents médicaux et chirurgicaux ; l’état général préopératoire (score ASA, score ECOG) ; le statut néphrologique préopératoire (statut de rein unique, créatininémie et clairance de la créatinine préopératoire) ; le mode de découverte de la tumeur ; l’indication opératoire (impérative ou élective) ; les caractéristiques tumorales (localisation, caractère exophytique ou intraparenchymateux, taille et histologie) ; les paramètres chirurgicaux (type, voie d’abord, clampage et durée, durée opératoire) ; les données postopératoires (transfusion, complications médicales et chirurgicales, durée d’hospitalisation) ; les données carcinologiques (stade TNM, grade de Führman, marge chirurgicale) ; et les données de suivi postopératoire (statut vital, statut carcinologique, fonction rénale).

Analyse statistique

Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel Stat 10,0 pour Windows PC (Stata Corporation, Texas, États-Unis), après importation de la base de données Excel (Circle Systems, Inc., Seattle, États-Unis).

Les données recueillies ont été décrites par la médiane, la moyenne, l’écart-type et les extrêmes pour les variables quantitatives et par les pourcentages pour les variables qualitatives.

Concernant les variables quantitatives, la mesure de leur tendance centrale s’est appuyée sur des calculs de moyenne et de médiane. Leur dispersion est caractérisée par un calcul de l’écart-type et de l’intervalle interquartile (p25–p75). Un intervalle de confiance à 95 % a été calculé pour chacune des estimations.

Concernant les variables qualitatives, leur répartition a été étudiée en effectif et en pourcentage, dans les différentes classes observées. Un intervalle de confiance à 95 % a été calculé pour chacun des pourcentages étudiés.

Les pourcentages ont été comparés par des tests du Chi2 ou des tests exacts de Fisher en cas d’effectif théorique inférieur à 5.

Les moyennes ont été comparées par des tests de Student, des tests de Mann–Whitney ou de Kruskall–Wallis, en fonction des conditions d’application.

Résultats
Caractéristiques de la population et tumeurs étudiées

Quatre cent quarante six patients (dont 12 ont eu une deuxième chirurgie rénale pour tumeur) ont été inclus dans l’étude (Tableau 1). L’âge moyen des patients était de 60±13ans (21–91). Les patients opérés par NPL étaient significativement plus jeunes (p <0,002) que ceux des trois autres groupes de traitement. La population étudiée était composée de 289 hommes (64,8 %) et de 157 femmes (35,2 %).

Au total, 458 chirurgies ont été réalisées : 184 néphrectomies partielles (59 ouvertes et 125 laparoscopiques), et 274 néphrectomies élargies (42 ouvertes et 232 laparoscopiques). La taille tumorale moyenne de la population étudiée était de 5,1±3,2cm (0,5–21). La taille tumorale moyenne était de 6,4±3,3cm (1,3–21) dans le groupe traité par néphrectomie élargie (NE) et de 3,2±1,7cm (0,5–11) dans le groupe traité par néphrectomie partielle (NP) (p <0,001). L’indication de NP était impérative dans 44 cas (24,2 %) et élective pour les 138 cas restants (75,8 %). De ce fait, la clairance de la créatinine était significativement inférieure dans le groupe des patients traités par NPO (p =0,0013). Les tumeurs de localisation centrale (partie moyenne) étaient préférentiellement traitées par NE (p =0,007).

Dans le groupe traité en NP, 17 patients étaient en situation de rein unique (9,2 %) et 28 (19,7 %) avaient un statut de performance ECOG supérieur à 0. Sur l’ensemble de la population, les résultats anatomopathologiques mettaient en évidence 51 tumeurs bénignes (11,1 %), et 407 tumeurs malignes (88,9 %). Parmi celles-ci, il y avait 79,5 % de carcinomes à cellules claires, 12,7 % de tumeurs tubulo-papillaires et 7,8 % de tumeurs chromophobes. Les tumeurs étaient classées pT1 dans 225 cas (59,2 %), incluant 144 pT1a (37,9 %) et 81 pT1b (21,3 %), pT2 dans 19 cas (5,0 %), et pT3 dans 136 cas (35,8 %). Pour 397 cas, le grade de Führman était disponible, et ce dernier était2 dans 285 cas (71,8 %).

Données peropératoires
Néphrectomie partielle

Les NP étaient réalisées par voie transpéritonéale dans 139 cas (75,5 %) et rétropéritonéale pour les 45 autres cas (24,5 %), dont 38 réalisées en chirurgie ouverte (Tableau 2). Parmi les NPL transpéritonéales, sept étaient robot-assistées. La taille tumorale moyenne dans le groupe NPO était de 4,0±2,2cm (1–11) et dans le groupe NPL de 2,8±1,3cm (0,5–8) (p <0,001). La durée opératoire moyenne était de 186±52minutes (75–330). Les pertes sanguines moyennes étaient de 271,8mL (0–1500). Elles étaient significativement moins élevées en laparoscopie (p <0,007). Le taux de transfusion était de 11 % (17 chirurgies) réparti de façon homogène entre les deux techniques chirurgicales (p <0,55). Vingt-et-un NPL ont du être converties en laparotomie (taux de conversion : 16,8 %).

Un clampage pédiculaire a été réalisé pour 143 interventions (79,4 %) avec une durée moyenne de clampage de 27minutes sur l’ensemble des NP, significativement plus long en cas de NPL, avec 24±12min (9–50) pour les NPO, et 28±9min (12–55) pour les NPL (p =0,019). Un clampage parenchymateux était utilisé dans 30 cas (16,3 %), dont 16 en laparoscopie et 14 en chirurgie ouverte.

Les résultats anatomopathologiques mettaient en évidence dans le groupe traité en NPO 8 tumeurs bénignes (13,6 %), et 51 tumeurs malignes (86,4 %). Cette proportion était de 22 tumeurs bénignes (17,6 %), et 103 tumeurs malignes (82,4 %) dans le groupe traité par NPL.

Néphrectomie élargie

Les NE étaient réalisées par voie transpéritonéale dans 243 cas (88,7 %) et rétropéritonéale pour les 31 autres cas (11,3 %) (Tableau 3). La durée opératoire moyenne était de 160min (60–300) sur l’ensemble des NE (183min (75–240) en cas de NEO et 159min (60–300) pour les NEL ; NS) Les pertes sanguines étaient en moyenne de 235mL (0–2800), significativement plus élevées en cas de chirurgie ouverte (321mL [9–2800]) pour les NEO, contre 50mL (0–800) pour les NEL ; (p <0,001). Le taux de transfusion était de 9,2 % (25 cas). Elles étaient significativement plus fréquentes en chirurgie ouverte (p <0,001). Huit NEL ont du être converties en laparotomie (taux de conversion : 3,4 %).

Les résultats anatomopathologiques mettaient en évidence dans le groupe traité en NEO 1 tumeurs bénignes (2,4 %), et 41 tumeurs malignes (97,6 %). Cette proportion était de 20 tumeurs bénignes (8,6 %), et 212 tumeurs malignes (91,4 %) dans le groupe traité par NEL.

Données postopératoires
Néphrectomie partielle

Douze patients ont eu une complication médicale (8,4 %), comprenant un bronchospasme, deux rétentions urinaires, deux fébricules, deux infections urinaires, trois sepsis sévères, un abcès de paroi et un patient décédé à j2 postopératoire d’une embolie pulmonaire massive (Tableau 2). Par ailleurs, 18 patients (12,7 %) ont eu 20 complications chirurgicales comprenant huit urinomes (5,6 %), deux caillotages de la voie excrétrice, un abcès péri rénal, deux hématomes péri rénaux, deux hématomes de paroi, une plaie digestive, trois hémorragies de la tranche de section chirurgicale rénale et un saignement sur un faux anévrisme rénal. Le taux de complications n’était pas statistiquement influencé par le type de voie d’abord (p =0,07). La durée d’hospitalisation moyenne était de 8,5jours (2–70). Cette durée était de 9,5jours pour les NPO (6–28) et de huit jours pour les NPL (2–70) (p <0,001). En revanche, la durée d’hospitalisation s’est modifiée au cours des années montrant une diminution globale de celle-ci entre 2006 et 2010 : en 2006, 37 % des patients étaient hospitalisés moins de six jours et 42 % plus de dix jours, alors qu’en 2010, 58 % restaient moins de six jours et 22 % plus de dix.

Les marges chirurgicales étaient positives chez 20 patients (11 %), dont deux cas (3,4 %) en NPO et 18 (14,5 %) en NPL (p =0,026). Parmi ceux-ci, aucun n’a eu de chirurgie de rattrapage. En revanche, deux patients (10 %) ont eu une récidive locale sur la tranche de section à deux ans, avec un patient traité par néphrectomie élargie et l’autre par néphrectomie partielle robot-assistée.

La clairance de la créatinine en postopératoire était de 81,8±31,4mL/min. Parmi les patients traités par NP pour une indication élective et ayant une clairance de la créatininémie supérieure à 60mL/min en préopératoire (n =165), 13 (7,9 %) ont eu une dégradation de la fonction rénale avec une clairance de la créatinine inférieure à 60mL/min en postopératoire, sans différence significative en fonction du type de voie d’abord ou de clampage.

Néphrectomie élargie

Vingt-huit patients ont eu une complication médicale (10,3 %), comprenant une cellulite cutanée, deux embolies pulmonaires, quatre syndromes confusionnels, un épanchement pleural bilatéral, cinq abcès de paroi, trois rétentions aigues d’urines, quatre infections urinaires, une insuffisance rénale aigue ayant nécessité une épuration extrarénale temporaire, trois iléus prolongé, une décompensation diabétique et deux patients décédés, l’un d’un choc septique compliqué d’un SDRA et le deuxième suite à une inhalation (Tableau 3). Par ailleurs, dix patients (3,7 %) ont eu une complication chirurgicale comprenant deux plaies coliques diagnostiquées et suturées en peropératoire, quatre hématomes de loge de néphrectomie, une reprise chirurgicale pour saignement sur le moignon artériel rénal, une reprise chirurgicale pour ligature de la veine cave caudale, une fistule pancréatique et un urinome sur rein en fer à cheval. Le taux de complications était plus élevé en cas de chirurgie par laparotomie (p =0,003). Vingt-cinq patients (9,2 %) ont été transfusés d’au moins un culot globulaire. Le taux de transfusion est significativement plus élevé en cas de NEO qu’en cas de NEL (p <0,001) La durée d’hospitalisation moyenne était de 6,8jours±3,3 (3–28). Les marges chirurgicales étaient positives chez 11 patients (4 %), dont huit cas (19 %) en NEO et trois (1,3 %) en NEL (p <0,001). La clairance de la créatinine en postopératoire était de 62,4±24,6mL/min. Parmi les patients traités par NE et ayant une clairance de la créatininémie supérieure à 60mL/min en préopératoire (n =75), 36 (48 %) ont eu une dégradation de la fonction rénale authentifiée par une clairance de la créatinine inférieure à 60mL/min en postopératoire.

Tendances évolutives

L’analyse par régression linéaire de l’évolution des pratiques chirurgicales au cours de la période étudiée (2006–2010) a mis en évidence une augmentation moyenne annuelle significative des néphrectomies partielles pour pT1a de 10 % par an [7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14] (p =0,002). Cette augmentation s’est faite au détriment des néphrectomies élargies (Figure 1). Il existait également à une diminution significative des néphrectomies partielles pour pT3a (Figure 2), avec une diminution moyenne annuelle de 2 % par an [1, 2, 3] (p =0,03). En revanche, il n’a pas été mis en évidence de tendance évolutive significative concernant les tumeurs de stade pT1b et pT2 (Figure 3, Figure 4).


Figure 1
Figure 1. 

Évolution de la proportion de tumeurs du rein de stade pT1a traitées par néphrectomie élargie (NE) et néphrectomie partielle (NP) au cours de la période d’étude (2006–2010).




Figure 2
Figure 2. 

Évolution de la proportion de tumeurs du rein de stade pT3a traitées par néphrectomie élargie (NE) et néphrectomie partielle (NP) au cours de la période d’étude (2006–2010).




Figure 3
Figure 3. 

Évolution de la proportion de tumeurs du rein de stade pT2 traitées par néphrectomie élargie (NE) et néphrectomie partielle (NP) au cours de la période d’étude (2006–2010).




Figure 4
Figure 4. 

Évolution de la proportion de tumeurs du rein de stade pT1b traitées par néphrectomie élargie (NE) et néphrectomie partielle (NP) au cours de la période d’étude (2006–2010).



Concernant les tendances évolutives des techniques de néphrectomie partielle, il a été mis en évidence une augmentation significative des néphrectomies partielles réalisées de manière laparoscopique (Figure 5), avec un taux d’augmentation moyenne annuelle de 8 % par an [2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14] (p =0,02).


Figure 5
Figure 5. 

Évolution de la proportion de tumeurs du rein traitées par néphrectomie partielle laparoscopique (NPL) et néphrectomie partielle ouverte (NPO) au cours de la période d’étude (2006–2010).



Discussion

La NE a été le standard de traitement des tumeurs localisées du rein pendant plus de 40ans. Au cours de la dernière décennie, tenant compte des données épidémiologiques qui ont mis en évidence que les patients atteints de tumeur du rein traités par NE avaient une survie globale inférieure à ceux qui avaient été traités par NP [4, 5], des changements de pratiques ont été impulsés par une évolution des recommandations des sociétés savantes d’urologie (AUA, EAU, AFU). Cette évolution, intervenue initialement concernant les tumeurs de stade T1a [10], a été étendue aux tumeurs T1b [7], ayant fait de la NP le nouveau traitement de référence des tumeurs de stade inférieur à T2, chaque fois que possible. Cependant, comme l’a révélé une étude de cohorte de patients du programme S.E.E.R. incluant 18 330 patients d’âge compris entre 40 à 90ans opérés pour les tumeurs de rein4 centimètres aux États-Unis entre 1999 et 2006, bien que le nombre de NP ait augmenté aux États-Unis entre 1999 et 2006, cette intervention est restée sous utilisée [14].

Afin de voir les changements intervenus dans nos pratiques entre 2006 et 2010, nous avons analysé la série des patients pris en charge dans notre centre universitaire. Nous avons observé que la proportion de tumeurs limitées au rein de moins de 4cm (pT1a) traitées par néphrectomie partielle a augmenté de manière continue, au détriment des NE avec une augmentation forte de 10 % par an. Ainsi en 2006, 43 % des tumeurs continuaient à relever de la NE, alors qu’en 2009, 92 % étaient traités par NP.

Cependant, le groupe des pT1a n’est pas le seul à être concerné par ces changements de pratique. En effet, en 2009, plus de 40 % des tumeurs de 4 à 7cm (pT1b) ont été traités par néphrectomie partielle, contre moins de 30 % en 2006. A la fin de notre période d’étude, un patient sur deux entrant dans notre centre pour la prise en charge chirurgicale d’une tumeur rénale a eu une chirurgie conservatrice.

Il est intéressant de noter que ces changements de pratique sont intervenus sans augmentation du taux de complications per- et postopératoires (p =0,39).

On peut remarquer que les pT2 histologiques ne représentaient que 5 % des tumeurs, la majorité des tumeurs de plus de 7cm de diamètres se révélant être des pT3a, le plus souvent par infiltration de la graisse sinusale, ce qui explique que les tumeurs pT3a représentent 35,8 % des tumeurs opérées entre 2006 et 2010 dans notre institution. Même si des données récentes ont montré un contrôle carcinologique comparable concernant les tumeurs limitées au rein de plus de 7cm de diamètre traitées par néphrectomie partielle et néphrectomie élargie [15], cette donnée histologique doit nous inviter à la prudence concernant la gestion conservatrice des tumeurs du rein les de plus de 7cm de diamètre.

Le retard au diagnostic demeure une limite au développement de la prise en charge chirurgicale des tumeurs du rein. Ainsi, dans une étude bicentrique publiée récemment comparant les pratique d’un centre italien et bulgare, les auteurs mettaient en évidence des différences de pratiques importantes (significativement plus de chirurgie partielle à Bari, Italie qu’à Varna, Bulgarie), mais également concernant la présentation de la maladie, le pourcentage de tumeurs T2-4 étant de 67 % à Varna, contre 36 % à Bari [16].

Une autre tendance évolutive révélée par notre étude est le développement de la NPL au détriment de la NPO. En effet en 2010, 80 % des NP étaient réalisées de manière laparoscopique, contre 42 % en 2006. Cette tendance n’est pas la conséquence de recommandations de pratique, puisqu’il faut le noter, les recommandations 2010 du CCAFU concluent « la chirurgie ouverte est la technique de référence de la néphrectomie partielle. L’abord laparoscopique est une alternative à la chirurgie ouverte qui peut être réalisée par des équipes entraînées et chez des patients sélectionnés » [7].

Le développement de la NPL dans notre centre a été plus vraisemblablement le résultat d’une démarche de centre qui a abouti à plusieurs travaux sur les moyens de prévention de l’ischémie chaude [17, 18], dont la mise au point du clamp parenchymateux laparoscopique (Kidney Clamp, Karl Storz). Les taux de marges chirurgicales positives plus élevés dans le groupe NPL que dans ler groupe NPO (14,5 %, contre 3,4 %, p <0,02) pour des tumeurs plus petites (28mm contre 40mm, p <0,001) doivent cependant inciter à la prudence concernant la pratique de la NPL.

Limites

Il s’agissait d’une analyse unicentrique, provenant d’un centre universitaire. Les informations concernant l’évolution des pratiques qu’elle révèle ne peuvent donc pas être extrapolées à d’autres centres, compte tenu des différences pouvant exister concernant la pathologie, comme cela a déjà été mentionné par Dyakov et al. [16], mais également des différences de pratiques pouvant exister entre les centres, et en fonction de l’expérience. Une enquête réalisée en juin 2009 auprès des membres de l’American Urological Association pour connaitre les pratiques en cas de tumeur du rein T1a, à laquelle 759 urologues ont participé, révélait que les urologues en formation (OR=0,4 ; I.C. 95 % : 0,2–0,6) et les urologues des hôpitaux universitaires (OR=0,6 ; I.C. 95 % : 0,4–0,9) étaient moins enclins à choisir la néphrectomie élargie que l’ensemble des urologues [19]. On peut penser qu’en France aussi, la gestion conservatrice des petites tumeurs du rein se soit développée plus rapidement dans les centres experts, la NP étant une intervention qui nécessite une courbe d’apprentissage longue, ce qui constitue une limite à son développement dans les centres ayant un recrutement plus faible. Le principal risque après néphrectomie partielle demeure le risque de saignement. Les progrès chirurgicaux et technologiques [20, 21] devraient contribuer à diffuser plus largement la gestion conservatrice du cancer du rein.

Conclusion

L’étude de la cohorte des patients traités chirurgicalement dans notre centre universitaire entre 2006 et 2010 n’a pas mis en évidence de sous-utilisation de la chirurgie conservatrice par rapport aux recommandations françaises et internationales. Cette évolution vers plus de néphrectomies partielles, et en particulier par voie laparoscopique, s’est faite sans augmentation de la morbidité chirurgicale, ni diminution du contrôle carcinologique. Ces résultats rassurants ne peuvent cependant pas être extrapolés à l’ensemble d’un territoire, ce qui souligne d’intérêt de mener des travaux épidémiologiques afin d’analyser plus en détail les pratiques concernant le traitement des tumeurs du rein.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.


 Niveau de preuve : 5.



Tableau 1 - Caractéristiques de la population étudiée (n =458).
 NPO
n =59 
NPL
n =125 
NEO
n =42 
NEL
n =232 
p  
Âge en années (Moyenne±E.T.) 63,1±11,7 56,4±12,7 61,9±12 61,6±13,6 0,0016  
Sexe (n  %) 0,63  
Homme 40 (67,8) 80 (64,0) 31 (73,8) 149 (64,2)  
Femme 19 (32,2) 45 (36,0) 11 (26,2) 83 (35,8)  
Clairance de la créatinine préopératoire ; mL/min (Moyenne±E.T.) 57,1±23,2 90,2±29,9 109,5±45,6 142,8±180 0,0013  
Rein unique (n  %) 14 (23,7) 3 (2,4) 1 (2,4) 0 (0,0) 0,001  
Côté (n  %) 0,79  
Droit 30 (51,7) 58 (46,4) 23 (54,8) 115 (49,6)  
Gauche 28 (48,2) 67 (53,6) 19 (45,2) 117 (50,4)  
Localisation (n  %) 0,007  
Pôle supérieur 24 (41,4) 58 (47,9) 10 (23,8) 68 (30,9)  
Partie moyenne 19 (32,8) 32 (26,5) 23 (54,8) 93 (42,3)  
Pôle inférieur 15 (25,9) 31 (25,6) 9 (21,4) 59 (26,8)  
Année de la chirurgie (n  %) – 
2006 11 (18,6) 8 (6,4) 3 (7,1) 37 (15,9)  
2007 14 (23,7) 26 (20,8) 2 (4,8) 57 (24,6)  
2008 12 (20,3) 20 (16,0) 8 (19,1) 46 (19,8)  
2009 15 (25,4) 42 (33,6) 9 (21,4) 50 (21,6)  
2010 7 (11,9) 29 (23,2) 20 (47,6) 42 (18,1)  
Taille de la tumeur (Moyenne±E.T.) 4,01±2,2 2,79±1,31 9,64±3,9 5,79±2,7 0,001  
Stade TNM (n  %) – 
T1a 29 (55,8) 83 (80,6) 2 (5,1) 30 (14,8)  
T1b 12 (23,1) 13 (12,6) 2 (5,1) 54 (26,6)  
T2a 3 (5,8) 1 (1,0) 1 (2,6) 8 (3,9)  
T2b 0 (0,0) 0 (0,0) 1 (2,6) 5 (2,5)  
T3a 5 (9,6) 5 (4,8) 13 (33,3) 73 (36,0)  
T3b 3 (5,8) 1 (1,0) 20 (51,3) 33 (16,3)  
Type histologique des tumeurs bénignes (n  % sur l’ensemble des tumeurs bénignes+malignes) 0,013  
Oncocytome 5 (1,1) 11 (2,4) 0 (0,0) 15 (3,3)  
Angiomyolipome 1 (0,2) 7 (1,5) 1 (0,2) 0 (0,0)  
Lésions kystiques bénignes 2 (0,4) 2 (0,4) 0 (0,0) 5 (1,1)  
Autre 0 (0,0) 2 (0,4) 0 (0,0) 0 (0,0)  
Type histologique des tumeurs malignes (n  % sur l’ensemble des tumeurs bénignes+malignes) 0,91  
Carcinome à cellules claires 37 (8,1) 78 (17,0) 33 (7,2) 170 (37,1)  
Papillaires 6 (1,3) 16 (3,5) 6 (1,3) 23 (5,0)  
Chromophobe 4 (0,9) 8 (1,7) 2 (0,4) 17 (3,7)  
Grade de Fürhman (n  %) – 
17 (34,0) 26 (26,5) 1 (2,4) 23 (11,1)  
28 (56,0) 64 (65,3) 13 (31,7) 113 (54,3)  
5 (10,0) 8 (8,2) 19 (46,3) 54 (26,0)  
0 (0,0) 0 (0,0) 8 (19,5) 18 (8,6)  


Tableau 2 - Données per- et postopératoires des patients traités par néphrectomie partielle (n =184).
 NPO NPL p  
Score ASA (n  %) 0,9  
5 (18,5) 23 (21,3)  
17 (63) 69 (63,9)  
5 (18,5) 16 (14,8)  
– –  
 
Voie d’abord (n  %) 0,001  
Transpéritonéale 21 (35,6) 118 (94,4)  
Rétropéritonéale 38 (64,4) 7 (5,6)  
 
Perte sanguine ; mL (Moyenne±E.T.) 347±267 245±278 0,007  
 
Transfusion (n  %) 5 (13,9) 12 (10,3) 0,55  
 
Temps opératoire ; min. (Moyenne±E.T.) 175±51 190±54 0,121  
 
Conversion (n  %) – 21 (17,1)   
 
Fistule urinaire (n  %) 0 (0,0) 7 (5,7) 0,35  
Type de clampage 0,287  
Clampage pédiculaire 40 (72,7) 101 (82,1)  
Clampage parenchymateux 12 (21,8) 16 (13,0)  
Pas de clampage 3 (5,5) 6 (4,5)  
 
Durée du clampage pédiculaire en min. (Moyenne±E.T.) 24±12 28±0,019  
 
Marges chirurgicales positives (n  %) 2 (3,4) 18 (14,5) 0,026  
 
Clairance de la créatinine postopératoire ; mL/min (Moyenne±E.T.) 58,9±33 83,8±30 0,012  


Tableau 3 - Données per- et postopératoires des patients traités par néphrectomie élargie (n=274).
 NEO NEL p  
Voie d’abord (n  %) 0,53  
Transpéritonéale 37 (88,1) 206 (88,8)  
Rétropéritonéale 5 (11,9) 26 (11,2)  
 
Perte sanguine (mL) (Moyenne±E.T.) 321±300 50±168 < 0,001  
 
Transfusion (n  %) 15 (35,7) 10 (4,4) < 0,001  
 
Conversion (n  %) – 8 (38,1)  
 
Marges chirurgicales positives (n  %) 8 (19) 3 (1,3) < 0,001  
 
Clairance de la créatinine postopératoire ; mL/min (Moyenne±E.T.) 61,9±23,2 62,8±22,2 0,54  

Références

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