Incontinence urinaire chez l’homme : un diagnostic, des solutions
Vous êtes un homme et vous souffrez d’incontinence urinaire et/ou d’urgenturie ? Ne vous résignez pas. Il temps de consulter car des solutions efficaces existent dans la quasi-totalité des cas. Le Pr Jean-Nicolas Cornu, urologue au CHU de Rouen, nous explique ce symptôme ne devant pas être négligé puisqu’il peut être traité.
Urofrance : Pouvez-vous définir l’incontinence urinaire de l’homme et ses différents symptômes ?
Pr Jean-Nicolas Cornu : L’incontinence urinaire est une fuite d’urines involontaire survenant en dehors des épisodes de miction. D’emblée, il faut distinguer les deux grands types : l’incontinence urinaire d’effort et l’incontinence urinaire par urgenturie.
L’incontinence urinaire d’effort est une fuite d’urine survenant lors d’un effort de pression abdominale le plus souvent au cours des activités quotidiennes (golf, jardinage, bricolage voire simplement la marche) et des épisodes de toux, éternuements ou rire. On mesure son importance par la quantité de fuites quotidiennes. Elle est le plus souvent due à une faiblesse du sphincter urinaire chez un patient opéré de la prostate. Ailleurs, elle peut être due à des mictions « par regorgement » (quand la vessie se vide si mal qu’elle est pleine en permanence et « déborde » lors des pressions abdominales), ou encore être d’origine neurologique.
L’incontinence par urgenturie est bien différente. L’urgenturie est un besoin soudain, brutal et irrépressible d’uriner (autrefois appelé impériosité) qui aboutit à l’incontinence si l’accès aux toilettes est impossible à temps, ou même parfois sans aucun délai de sécurité. Ces envies brutales, précédant immédiatement les fuites, sont un élément capital, définissant un contexte d’hyperactivité vésicale. Peuvent y être associés d’autres troubles de stockage que sont la nycturie (être réveillé la nuit par le besoin d’uriner) et la pollakiurie (le fait d’uriner trop souvent). L’incontinence par urgenturie est très problématique en particulier pour les hommes actifs. Contrairement à l’incontinence urinaire d’effort (qui peut « s’anticiper »), l’incontinence par urgenturie est véritablement subie par les patients. Ce n’est donc pas pour rien que les études montrent que l’incontinence urinaire par urgenturie est le symptôme urologique qui impacte et dégrade le plus la qualité de vie des malades !
Urofrance : Comment sont organisés la prise en charge et le diagnostic des patients ?
Pr J.-N. Cornu : L’incontinence urinaire par urgenturie est le domaine dans lequel notre compréhension a le plus évolué ces dernières années. Pendant très longtemps, le moindre symptôme urinaire chez l’homme était évocateur d’un « problème de prostate ». Le changement de paradigme débuté en 2006 et pleinement admis aujourd’hui est que l’on va chercher à comprendre d’où vient le symptôme et pourquoi ces urgenturies existent. Cette prise en charge complète du patient pour déterminer la cause du problème est réalisée avant la prescription d’un traitement. Depuis 15 ans, il est largement admis qu’une urgenturie avec incontinence urinaire n’est pas forcément en rapport avec la prostate, et que ce symptôme est lié à un dysfonctionnement de la vessie. En effet, la sensation d’urgenturie peut être un signal ressenti par le patient au niveau du cortex cérébral (sorte d’envie pathologique) ou liée à une contraction spontanée de la paroi de la vessie, comme si elle était hors de contrôle. Les causes de ces dysfonctionnements peuvent être multiples.
Dans son approche diagnostique, à l’interrogatoire, l’urologue va d’abord chercher à savoir si l’urgenturie est liée à un problème neurologique connu ou évident (maladie de Parkinson, etc.), qui justifierait une prise en charge spécifique neuro-urologique. Si ce n’est pas le cas et que l’examen physique ne révèle pas d’anomalie, la première étape fondamentale sera d’obtenir un calendrier mictionnel. Ce document primordial permettra de comptabiliser le nombre de mictions, d’urgenturies, et de fuites quotidiennes, ainsi que les levers nocturnes. L’urologue va également s’intéresser à la prostate du patient pour écarter un éventuel tableau mixte avec un trouble de vidange associé. Si la vessie ne se vide pas correctement, en laissant du résidu après la miction, cela peut expliquer l’envie fréquente d’uriner. Selon le contexte (âge en particulier), l’urologue va contrôler le PSA, réaliser un toucher rectal. Enfin, en cas de facteurs de risque (tabagisme), et d’autant plus que l’apparition des symptômes d’urgenturie a été brutale et récente, il est indispensable d’éliminer l’éventuelle présence d’une tumeur de vessie par une imagerie et une endoscopie. Une fois les examens effectués, l’urologue détermine le mécanisme le plus probable qui sous-tend ces urgenturies. Une deuxième ligne d’investigations peut être nécessaire avec un bilan urodynamique. Ces explorations approfondies permettent de ne pas opérer inutilement un patient et de choisir la meilleure approche thérapeutique. Il faut comprendre avant de soigner et d’opérer.
Urofrance : Est-il vrai qu’une incontinence urinaire d’effort peut survenir après chirurgie de la prostate ou de l’HBP ?
Pr J.-N. Cornu : L’incontinence urinaire d’effort chez l’homme survient en effet majoritairement après chirurgie prostatique (cancer, plutôt que HBP) ou chez les patients ayant une maladie neurologique. Au moins 10 % des patients qui subissent une prostatectomie totale pour cancer auront une incontinence urinaire séquellaire dont l’intensité est variable. Elle peut avoir été aggravée par une radiothérapie complémentaire, qui endommage potentiellement la vessie. L’incontinence urinaire survient aussi parfois après chirurgie ablative de l’adénome de prostate (HBP), mais c’est bien plus rare. Pour les chirurgies de type énucléation de prostate, les cas d’incontinence post-opératoire immédiats sont fréquents, mais récupèrent avec la kinésithérapie et moins de 5 % des patients ont une incontinence séquellaire. Pour les techniques mini-invasives en cours de développement, ce risque serait extrêmement faible.
Ces chiffres peuvent paraitre négligeables, mais ils sont à mettre en regard du nombre de patients opérés par an en France : entre 15 000 et 20 000 pour cancer de la prostate, et plus de 50 000 pour HBP ! Même si grâce aux progrès technologiques et à la formation toujours plus spécialisée des urologues, moins de 10 % des patients souffrent ensuite d’incontinence, cela représente tout de même des milliers de cas par an. Il est évident qu’une prise en charge efficace s’impose, d’autant plus qu’elle est possible dans la grande majorité des cas !
Urofrance : Quelles solutions proposez-vous et comment rassurez-vous les patients ?
Pr J.-N. Cornu : Il y a des solutions quasiment pour tous les malades et presque toujours quelque chose à tenter. Dans les cas de l’hyperactivité vésicale, des traitements de première intention pour soulager les symptomes peuvent rapidement être prescrits comme des alpha bloquants, les anticholinergiques pour limiter les contractions anarchiques de la vessie, le mirabegron ou la stimulation du nerf tibial pour réguler les urgenturies. Quand cela ne fonctionne pas on peut avoir recours à la neuromodulation sacrée ou aux injections de toxine botulique.
Pour l’incontinence urinaire d’effort, la kinésithérapie est l’option de première ligne. Elle doit être entamée juste après la chirurgie de prostate ou d’HBP, mais la faire à distance est toujours utile. La chirurgie de l’incontinence est également efficace. L’urologue peut proposer trois options : la bandelette (différente de celle des femmes) que l’on place en dessous de l’urètre par voie transobturatrice, les ballonnets péri-urétraux qui font obstacle ajustable à l’écoulement des urines et le sphincter artificiel qui consiste en une petite manchette de silicone qui passe autour de l’urètre, le serre et est reliée à une petite pompe située entre les deux testicules. Cette pompe est actionnée pour uriner. Ce sont des techniques intracorporelles et invisibles, des chirurgies peu lourdes qui peuvent être réalisées en ambulatoire sous anesthésie générale ou rachianesthésie. Enfin la recherche sur ces sujets est extrêmement active, avec de nombreuses innovations attendues dans les prochaines années.
Propos recueillis par Vanessa Avrillon
07-03-2024
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