Les troubles pelvi-périnéaux comprennent l’incontinence urinaire, l’incontinence fécale, le prolapsus des organes pelviens et les dysfonctions sexuelles. De mauvaises habitudes quotidiennes altèrent le fonctionnement du périnée, y compris chez les femmes nullipares. Initiatrice de sessions d’informations auprès de collégiennes et lycéennes, le Dr Anne-Cécile Pizzoferrato, gynécologue, nous explique l’importance d’une sensibilisation dès le plus jeune âge face aux conduites à risques pour le plancher pelvien.

Urofrance : Pouvez-vous nous dire comment est né ce projet de créer des sessions d’éducation périnéale pour les adolescentes en collège et lycée ?
Dr Anne-Cécile Pizzoferrato : Le projet est né de ma rencontre avec une kinésithérapeute, Véronique Blanchard avec laquelle je travaillais dans le cadre d’un DU de pelvi-périnéologie. On s’est dit que l’éducation d’une manière générale et l’information concernant le périnée, le plancher pelvien, les systèmes urinaire et digestif étaient très peu développées. Les femmes que nous recevons en consultation ont souvent bénéficié de séances de rééducation, mais jamais de séances d’information, d’éducation au fonctionnement du périnée. Nous avons donc organisé des sessions d’éducation sur le périnée destinées aux adultes du service de gynécologie du CHU de Caen. Il en est ressorti leur souhait d’être informées plus jeunes pour mieux maîtriser les conduites préventives. Les jeunes filles ne réalisent pas que certaines habitudes du quotidien contribuent à détruire progressivement leur périnée. On pense toujours que les dysfonctionnements du périnée et du plancher pelvien ne touchent que les femmes après leurs grossesses ou les femmes ménopausées. Pourtant, toutes les femmes sont concernées y compris les plus jeunes. D’où l’idée de sensibiliser les collégiennes et les lycéennes du Calvados en proposant des sessions d’information et de prévention thérapeutique des troubles urinaires et digestifs.

Urofrance : Que savent les jeunes filles de leur périnée et quelles sont les a priori les plus répandus ?
Dr Anne-Cécile Pizzoferrato : Il nous a paru important dans un premier temps d’estimer le niveau de connaissances anatomiques et physiologiques des jeunes filles sur la fonction urinaire et digestive et de connaître leurs habitudes. Pour cela, nous leur avons distribué un questionnaire avant la session d’information. Il en est ressorti un niveau de connaissances très faible du fonctionnement du périnée, des habitudes particulièrement mauvaises pour le périnée et des troubles urinaires et digestifs fréquents dans cette population. Par exemple, à la question : « Qu’est-ce que le périnée et où se situe-t-il », nous avons eu seulement 10 et 15 % de bonnes réponses. À la question : « Faut-il éviter de s’asseoir dans les toilettes du collège ou du lycée », 80 % des répondantes étaient convaincues qu’il ne fallait pas s’asseoir pour éviter les infections urinaires. Or, leur sac à main ou leur téléphone sont plus sales que les toilettes des établissements scolaires. À la question : « La constipation peut-elle occasionner des problèmes urinaires ? », seules 22 % des jeunes filles ont répondu positivement. L’incontinence et les fuites urinaires liées au sport semblent être des problématiques plus connues : 50 % des adolescentes interrogées reconnaissent qu’il est possible d’avoir des fuites en pratiquant un sport. Et 30 % d’entre elles pensent que le sport peut induire une descente d’organe. Malgré quelques notions éparses, il y a donc une méconnaissance du périnée.

Urofrance : Cette méconnaissance entraine-t-elle des conduites à risques ?
Dr Anne-Cécile Pizzoferrato : Le fait de ne pas s’asseoir en allant aux toilettes peut avoir des conséquences graves sur le périnée car on ne le détend pas. On pousse pour uriner et la vessie est mal vidée. Faire cela tous les jours au collège, au lycée ou sur son lieu de travail abime le périnée et peut être à l’origine d’infections urinaires. Quant aux fuites urinaires, chez les jeunes, elles sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pense et très souvent passées sous silence. Nous estimons que 20 à 30 % des jeunes filles en souffrent. Dans l’un des premiers collèges dans lequel nous sommes intervenues, 50 % des jeunes filles déclaraient avoir des fuites urinaires. Ce problème d’incontinence est intégré à leur quotidien. Par honte ou peur d’en parler, elles mettent des protections. Certaines jeunes filles ne se rendent même pas compte que ce n’est pas une situation normale. Chez les sportives de haut niveau, fortement à risque, ce problème est encore plus répandu et peut atteindre 70 % des jeunes filles. C’est un sujet tabou et il y a une sous-estimation du problème. Le sujet de la constipation aussi est mal maitrisé alors qu’une prise en charge précoce permet de limiter l’installation d’un tel trouble, parfois difficile à prendre en charge à l’âge adulte.

Urofrance : Les sessions d’éducation périnéale ont-elles induit des modifications dans les habitudes urinaires des jeunes filles et pourraient-elles réduire les troubles du plancher pelvien ?
Dr Anne-Cécile Pizzoferrato : L’objectif était de sensibiliser et d’améliorer les connaissances des adolescentes sur l’importance du périnée et de limiter les comportements à risques pour qu’elles en prennent soin très jeunes. En adoptant certaines habitudes de vie très faciles à mettre en place, il est possible de réduire les problèmes à l’âge adulte. Par exemple, améliorer le comportement défécatoire et urinaire permet de diminuer de 50 % les fuites urinaires. L’importance de boire ou de s’asseoir lorsque l’on va aux toilettes ne sont pas des notions évidentes pour les jeunes filles. A deux mois de la formation, un questionnaire a été envoyé aux participantes pour comprendre ce qu’elles en avaient appris et si elles avaient commencé à modifier leurs habitudes urinaires et défécatoires : 92 % des répondantes ont déclaré avoir changé leurs habitudes urinaires et 52 % leurs habitudes défécatoires. C’est très positif. Les participantes ont également déclaré avoir partagé l’information avec leur entourage dans 70 % des cas (maman, sœur, tante, amie…). Cette information se répercute sur l’entourage.

Urofrance : Quelle suite allez-vous donner à cette étude ? Devrait-on généraliser l’éducation thérapeutique des jeunes filles ?
Dr Anne-Cécile Pizzoferrato : Au travers du collectif E3P (Éducation et Prévention en Pelvi Périnéologie), nous proposons déjà des webconférences pour sensibiliser le grand public, des conférences dans les écoles ou les universités STAPS dont les étudiants prendront en charge des jeunes sportives concernées par ces problématiques. Le périnée et la sexualité sont liés. Nous essayons de travailler avec l’éducation nationale pour intégrer notre programme d’éducation au périnée aux sessions d’éducation à la santé sexuelle. Nous souhaiterions mettre en place un vrai programme d’enseignement des bonnes habitudes urinaires et digestives dans les collèges et les lycées et peut-être même par la suite dès la maternelle. On apprend aux enfants à se laver les mains ou les dents. Ce sont des conseils simples d’hygiène de vie. Nous voudrions pouvoir en faire autant à l’égard des habitudes urinaires et défécatoires pour que l’apprentissage des bonnes habitudes soit ancré en profondeur. Nous devons tous intégrer notre périnée dans notre comportement du quotidien, comme le brossage des dents. Cela mérite d’être développé et diffusé. Il est temps que certaines idées reçues, comme le fait de croire que l’on va attraper une infection urinaire si l’on s’assied sur les toilettes, soient balayées. Nous diminuerons ainsi la survenue des troubles périnéaux.

Propos recueillis par Vanessa Avrillon
09-03-2024

Impact des sessions d’éducation périnéale chez les adolescentes : A.-C. Pizzoferrato, O. Arzel, E. Reboursière, M. Rousseau, V. Blanchard – Progrès en urologie 32 (2022) 735-743.

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