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Hérédité et cancer : l’enquête génétique est-elle utile ?

Votre famille compte plusieurs cas de cancers de la prostate, du sein ou de l’ovaire ? Soyez vigilant, ces cancers sont susceptibles d’être héréditaires. Le dépistage et l’enquête génétique des patients à risques peuvent sauver des vies.

Entre 10 et 20 % des cancers de prostate sont héréditaires. Contrairement aux idées reçues, il s’agit du cancer pour lequel l’hérédité a le plus fort impact. « Il existe un certain nombre de facteurs de risque dans le cancer de la prostate et le plus important est en effet l’hérédité », confirme le Pr Pierre Mongiat-Artus, membre honoraire du Comité de Cancérologie de l’AFU et responsable du comité d’éthique et de déontologie.

Forme familiale ou héréditaire ?

« Une distinction est faite entre les formes familiales de cancer et les formes héréditaires, précise le Pr Mongiat-Artus. On parle de forme familiale lorsque l’on observe la survenue, au sein d’une même famille, d’un nombre de cas de maladies supérieur à ce que l’on observe dans la population générale ». Les formes familiales résultent d’un facteur de risque commun et partagé de déclenchement de la maladie. Elles sont importantes à identifier, mais pas toujours simples à déceler. Un père qui fumerait beaucoup dans un espace peu aéré et pendant de nombreuses années pourrait causer un cancer du poumon à un ou plusieurs individus de son entourage familial, y compris si l’un des membres de cette famille ne partage pas le même patrimoine génétique (une belle-fille ou un gendre non génétiquement apparenté par exemple). On parlerait ici d’une forme familiale de cancer du poumon. « Au sein des formes familiales existent des formes héréditaires. Il s’agit de formes familiales dont le facteur de risque partagé est l’hérédité », complète le spécialiste. Pour faire le distinguo entre formes familiales et formes héréditaires, il est nécessaire d’étudier la façon dont sont distribués les cas de cancer dans la famille. S’ils suivent une même branche et que les patients sont « du même sang », il s’agit bien d’une forme héréditaire. Dans les petites familles, les formes héréditaires sont plus difficiles à analyser faute de représentants.

Les cancers du sein et de l’ovaire associés

Le caractère héréditaire d’une maladie fréquente (déjà souvent présente au sein de la population), est plus difficile à déterminer. Le fait que la pathologie soit très répandue brouille les pistes. Mais l’identification d’une forme familiale de cancer est suffisante pour poser la question à son médecin du risque héréditaire éventuel. Et ce, à partir d’un seul cas de cancer de prostate. « Ce n’est pas grave d’interroger son médecin, c’est beaucoup plus grave de ne pas poser la question », prévient le Pr Mongiat-Artus. Surtout si la maladie a été diagnostiquée précocement (55 ans) et d’emblée avec des métastases, donc agressive. Le spécialiste met en garde contre les cancers associés à celui de la prostate que sont les cancers du sein et de l’ovaire. « Dans une famille avec des cancers du sein ou de l’ovaire, on peut potentiellement voir apparaître des cancers de prostate », indique-t-il. « Les sénologues vont systématiquement proposer l’enquête génétique aux femmes pour un dépistage très précoce de cancer de l’ovaire ou du sein, mais plus rarement aux hommes. L’information que les hommes porteurs d’un gène associé à la maladie ont un risque très important de développer eux-mêmes un cancer est passée souvent sous silence par méconnaissance. La présence d’un cancer du sein ou de l’ovaire dans une famille doit donner lieu à une enquête génétique chez les hommes également car, un cancer de prostate peut être développé ».

La transmission génétique

Il y existe deux façons de transmettre un risque de cancer. L’une d’elle est la transmission de la maladie par un unique gène anormal : c’est l’hérédité monogénique qui concerne 10 % des cancers de prostate héréditaires. Très peu de gènes sont en fait impliqués seuls dans le cancer de la prostate ; les gènes BRCA1 et BRCA2 sont les plus fréquents et importants à connaître. Le gène BRCA1 expose au risque de développer un cancer du sein et de la prostate. Le BRCA2 est associé au cancer du sein et de l’ovaire chez la femme et au cancer de la prostate dans une forme très agressive chez l’homme. Lorsque le risque héréditaire est transmis par un seul de ces gènes, il est possible de l’identifier et de l’étudier. « Quand un homme est porteur d’une anomalie dans un de ces deux gènes BRCA, il doit réaliser régulièrement un dépistage de cancer de prostate, surtout s’il s’agit de BRCA2 », conseille le Pr Mongiat-Artus. Car, les patients porteurs d’une anomalie sur le gène BRCA2 sont susceptibles de développer une maladie agressive et évolutive.

Une enquête strictement encadrée

Lorsque le médecin identifie une forme familiale de cancer, en premier lieu, il étudie l’arbre généalogique de son patient. S’il constate qu’il est potentiellement en présence d’une forme héréditaire, par exemple compatible avec BRCA, il lui conseille alors la recherche d’une anomalie de l’un des deux gènes BRCA. Si une anomalie a déjà été identifiée chez une femme de la famille, c’est cette mutation là et exclusivement elle qui sera recherchée chez le patient. « L’enquête génétique est uniquement menée dans des centres agréés avec un encadrement législatif strict. Compte tenu de la gravité du diagnostic et de ses conséquences, les laboratoires sont hautement spécialisés et disposent d’un niveau de sécurité maximal », précise le Pr Mongiat-Artus. En premier lieu, le patient candidat à l’enquête génétique rencontre un clinicien qui pose l’indication d’une consultation d’oncogénétique. Le clinicien informe son patient des caractéristiques spécifiques de cette consultation et des implications bénéfiques, mais aussi éventuellement néfastes pour la personne qui engage une enquête oncogénétique. En effet, si l’anomalie est identifiée sur un gène, le patient peut développer des sentiments complexes, parfois irrationnels et perturbants d’un point de vue familial : de la rancœur vis-à-vis de ses parents (même s’ils n’étaient pas au courant du risque transmis à leur enfant) et de la culpabilité vis-à-vis de sa descendance. Il devient le porte-parole au sein de sa famille notamment auprès des apparentés majeurs et cela peut se révéler difficile à assumer. Le patient prend donc rendez-vous en consultation d’oncogénétique en connaissance de cause. « Il ne s’agit pas d’une consultation anodine, prévient le spécialiste. C’est au patient de faire la démarche de prise de rendez-vous. Il s’agit d’un acte volontaire, d’une consultation avec un caractère altruiste pour les autres membres de sa famille ».

Les cancers à génétique polygénique

90 % des cancers héréditaires sont des cancers à génétique polygénique. « Dans notre patrimoine génétique, de nombreux gènes, sans être à proprement parler anormaux, peuvent prendre des formes différentes. L’association d’un certain nombre de gènes qui seraient déviants (toujours sans qu’aucun d’entre eux ne soit anormal) peut conduire à un risque de développer une maladie, dont un cancer », nous éclaire le Pr Mongiat-Artus. Le risque génétique est ici présent, mais dilué dans le patrimoine génétique global de la personne. Lorsqu’il existe une forme familiale répondant aux critères héréditaires, il est important d’en faire le diagnostic et de proposer au patient une prise en charge adaptée. Mais il est généralement impossible de repérer la totalité des gènes portant éventuellement une anomalie.

Une combinaison de facteurs

Le premier facteur de risque de cancer de prostate demeure le fait d’être un homme. Ensuite, plus on avance en âge, plus le risque est grand. Enfin, la génétique et l’ethnie entrent dans les critères de risques de développer la maladie. Mais être porteur d’un gène cible muté ne signifie pas développer à coup sûr un cancer, comme on peut développer celui-ci sans pour autant porter ce gène muté. « Le patrimoine génétique est donc important pour déterminer le risque d’avoir un cancer de prostate, mais il ne fait pas tout. C’est une combinaison de la génétique, des conditions de vie… Cela explique les variations géographiques d’incidence du cancer de prostate dans le monde. Un risque n’est pas une certitude et l’avenir n’est jamais écrit », conclut le Pr Mongiat-Artus.

 

Vanessa Avrillon

28-06-2022

Le contenu de cet article a été validé par le Comité de Cancérologie de l’AFU

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