Les infections urinaires (IU) de l’adulte représentent aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique à la fois pour leur impact en termes de morbi-mortalité, mais également pour le coût qu’elles représentent pour la société [1]. La part importante prise par les IU dans l’ensemble des maladies infectieuses et l’évolution de l’épidémiologie et des résistances bactériennes de ces infections incitent les sociétés savantes à mettre régulièrement leurs recommandations à jour.
Les dernières recommandations françaises SPILF/AFU de 2014 révisées en 2018 [2] et les recommandations européennes de l’European Association of Urology (EAU) [3] diffèrent sur certains points.
L’objectif de cet article est de comparer les recommandations de ces deux sociétés savantes afin de mettre en avant leurs différences, mais également leurs points communs dans la prise en charge des IU.
Une analyse comparative des dernières recommandations de 2018 de l’EAU et des recommandations françaises (SPILF/AFU) de 2014 mise à jour en 2018 a été effectuée. Les auteurs ont défini les sous-parties suivantes : terminologie, pyélonéphrite, infections urinaires masculines, infections urinaires gravidiques, outils diagnostiques, principes généraux, cystite, autre. Chaque auteur a traité une sous-partie en effectuant une comparaison des recommandations avant de soumettre son travail à l’ensemble des co-auteurs pour corrections. Une analyse de la littérature a été effectuée afin de tenter d’expliquer les différences retrouvées entre les 2 recommandations. Les mots clés en lien avec les différences ont été utilisés sur les moteurs de recherche PubMed et Embase. Les articles cités dans les références bibliographiques ont aussi été analysés afin de tenter d’expliquer les différences.
La terminologie est l’ensemble des termes, rigoureusement définis, qui sont spécifiques d’une science, d’une technique ou d’un domaine particulier de l’activité humaine. L’urologie comme toute autre science n’échappe pas à cette règle d’utiliser une terminologie très précise. Cette terminologie peut parfois varier en fonction des pays où des sociétés savantes qui l’utilisent. Il est alors très important de s’assurer que les termes employés dans les différentes publications caractérisent bien des situations identiques. Globalement la SPILF/AFU et l’EAU en 2018 utilisent des terminologies identiques (Tableau 1). Seuls les facteurs de risque de complication de l’infection urinaire aiguë (IUA) diffèrent. En effet, l’âge et l’insuffisance rénale sont associés au risque de complication de l’IUA pour la SPILF/AFU, mais pas pour l’EAU. De la même façon le diabète est un facteur de complication de l’IUA pour l’EAU, mais pas pour la SPILF/AFU. La littérature concernant ces facteurs de risque est abondante et parfois contradictoire. Le diabète [4, 5], l’âge [6, 7] et l’insuffisance rénale [8] sont cependant reconnus comme des facteurs de risque d’infection urinaire aiguë, même si l’interdépendance de ces deux derniers facteurs n’a pas complètement été éliminée. La valeur pronostique de ces facteurs, pour les complications de d’infection urinaire aiguë, est faiblement documentée. Si on peut la comprendre sur le plan intuitif, on peut souligner le faible niveau de preuve ayant validé les choix de la SPILF/AFU comme de l’EAU de ces paramètres comme facteurs de risque des complications de d’infection urinaire aiguë.
Le Tableau 2 met en évidence la relative comparabilité de celles-ci, avec des recommandations de bon niveau de preuve global et ne différant que sur quelques points précis.
Les seuls points de divergence sont liés à des recommandations françaises moins complètes que celles de l’EAU, notamment sur les outils diagnostics disponibles dans le cadre de la suspicion de prostatite chronique. L’entité clinique que constitue la prostatite chronique est sujette à débat, de nombreuses sociétés savantes considérant qu’elle n’existe tout simplement pas. La terminologie anglo-saxonne propose ainsi trois entités cliniques distinctes dont les frontières restent très floues : la prostatite chronique dans le cadre d’un syndrome douloureux pelvien chronique, la prostatite bactérienne chronique et la prostatite inflammatoire chronique. Une recherche PubMed des publications des 5 dernières années avec le mot clé « Chronic Bacterial Prostatitis » met ainsi en évidence un effort de recherche centré sur l’utilisation de l’homéopathie ou des médecines alternatives bien plus que sur l’usage des antibiotiques dans cette indication (acupuncture, pollen, curcuma, calendula, statines, sélénium, doluxétine…). L’EAU considère donc que l’entité clinique « prostatite chronique bactérienne » existe, la SPILF/AFU non. La suspicion clinique d’épididymite n’est pas abordée dans les recommandations SPILF/AFU 2018. Les recommandations françaises en vigueur sont actuellement toujours les recommandations de la Société française de dermatologie de février 2016 sur les maladies sexuellement transmissibles. Les outils diagnostics concernant l’orchi-épidydimite sont ainsi identiques à ceux de l’urétrite masculine : on recommande la réalisation d’un écouvillon urétral, d’une PCR et d’un examen bactériologique des urines (examen direct+culture) du premier jet, ce qui est similaire aux recommandations EAU.
La conduite à tenir quant à la recherche et au traitement prophylactique d’une bactériurie avant exploration urodynamique, non recommandée dans les travaux de l’EAU 2018, n’est pas abordée dans les recommandations nationales qui n’ont pas encore statué sur ce point. Ceci a fait l’objet d’une publication récente sous forme d’un consensus formalisé paru en 2018 [9].
La performance de la BU est mentionnée par la SPILF/AFU (VPN>95 % chez la femme symptomatique et VPP>90 % chez l’homme symptomatique), mais pas dans l’EAU.
Concernant la bactériurie de la femme, la définition est 1 prélèvement avec≥105CFU/mL pour la SPILF/AFU et 2 prélèvements consécutifs≥105CFU/mL pour l’EAU.
Le seuil de bactériurie significative pour la cystite simple est identique pour les 2 recommandations (≤103UFC/mL).
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| Les pyélonéphrites aiguës |
Les recommandations des deux sociétés savantes diffèrent sur 2 points importants : l’imagerie et la durée de traitement (Tableau 3).
Concernant l’imagerie, les recommandations françaises ne fournissent aucune référence scientifique quant à leur décision. L’EAU recommande systématiquement une imagerie (échographie en première intention) en se basant sur l’étude de van Nieuwkoop et al. [10]. Cette étude prospective et multicentrique portant sur 346 patients avait pour objectif de définir des critères cliniques permettant de différencier les patients nécessitants ou non une imagerie en cas d’UI fébrile. En analyse multivariée, les critères significatifs faisant indiquer une imagerie (échographie ou TDM) étaient : antécédent lithiasique connue, pH urinaire>7 et DFG<40mL/min. Un score entre 0 et 3 a alors été défini. Sur les 336 patients (10 exclus de l’analyse pour décès ou perdus de vue), le score ainsi défini permettait de trouver une anomalie radiologique significative pour 7 % des patients ayant un score de 0, 15 % des patients avec un score à 1 et 79 % des patients avec un score de 2 et plus. Pour un score défini à 1, la VPN était à 93 % et la VPP à 24 %. La VPN était de 99 % IC (97–100 %) lorsque l’on considérait que le critère radiologique mis en évidence relevait de l’urgence clinique (pyonéphrose, abcès rénal ou obstacle des voies urinaires). La conclusion des auteurs était que l’application de ce score avec un « cut-off » à 1 permettrait de réduire de 40 % le nombre d’imageries. Cette étude ne semble donc pas en faveur d’une imagerie systématique.
L’autre différence concerne la durée de traitement en cas de l’utilisation de la lévofloxacine. L’EAU recommande 5jours sans citer de référence là où la SPILF/AFU considère que les données scientifiques [11, 12] sont pour l’heure insuffisante pour recommander moins de 7jours de traitement. Ces deux études de non-infériorité, randomisées semblent pourtant plaider pour le raccourcissement de la durée de traitement.
Les différences entre les 2 sociétés savantes sont ici moins marquées comme le montre le Tableau 4. La réelle différence se situe sur le choix des molécules. Les recommandations « ouvertes » de l’EAU concernant le choix probabiliste du traitement antibiotique semblent s’expliquer davantage par la nécessité de devoir s’adapter à l’ensemble de l’écologie bactérienne européenne (bien différente selon les pays) plutôt que par le résultat d’une analyse de la littérature scientifique différente de la SPILF/AFU.
Le Tableau 5 compare pyélonéphrite aiguë grave versus urosepsis et retrouve là aussi peu de différences. Là encore l’EAU semble être plus large sur ses propositions de traitement probabiliste et autorise une durée minimale de traitement de 7jours, là où la SPILF/AFU place le curseur à 10jours sans qu’aucune des deux sociétés ne donnent d’argument pour son choix. L’EAU relève néanmoins l’intérêt potentiel de la réalisation d’une procalcitonine (PCT) et des lactates afin de mieux évaluer la gravité du sepsis initial.
Pour l’EAU, la cystite « non compliquée » est définie comme une cystite aiguë, sporadique ou récurrente limitée aux femmes non enceintes et préménopausées n’ayant aucune anomalie anatomique ni fonctionnelle des voies urinaires ni d’autres comorbidités. Cette définition se rapproche de la définition française, en sachant que la cystite récidivante n’entre pas vraiment dans cette définition, sa prise en charge thérapeutique pouvant différer de la cystite aiguë simple en fonction de la fréquence des épisodes.
Le diagnostic de cystite simple ou non compliquée est évoqué, avec une probabilité élevée, devant des signes urinaires de type dysurie, pollakiurie, urgenturie et l’absence de signes en faveur d’une mycose génitale, d’une urétrite ou d’une sécheresse cutanéo-muqueuse.
Le Tableau 6 montre qu’il n’y a pas de différence sur le plan du diagnostic concernant la cystite. Pour ce qui est du traitement probabiliste de la cystite simple, le choix proposé par l’EAU est plus large. Les niveaux de preuve sont élevés dans les deux cas. Il existe également une différence dans la durée du traitement pour le pivmécillinam positionné en 2e choix pour les recommandations françaises et en 1er choix pour les recommandations de l’EAU. Néanmoins, l’analyse de la littérature ne permet pas de trancher entre telle ou telle attitude.
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Cystites à risque de complication |
Cette entité n’est pas développée par l’EAU.
Pour l’EAU, il n’y a pas de chapitre individualisé pour les cystites récidivantes. La notion de récidives inclue cystite et pyélonéphrite. Il n’est du reste pas fait mention dans ce chapitre d’infections urinaires récidivantes chez l’homme et il faut donc supposer que les recommandations de l’EAU s’adressent ici aux récidives chez la femme.
Il existe une différence de définition entre les deux recommandations, celles de l’EAU retenant une moindre fréquence sur la période d’une année. Néanmoins, parler de 3 ou 4 épisodes par an n’apporte aucune différence sur la prise en charge. Les recommandations prophylactiques hors anti-infectieux, sont détaillées dans les recommandations françaises en ce qui concerne les mesures générales d’hygiène avec un niveau de preuve qui reste faible. Elles ne le sont pas dans les recommandations de l’EAU probablement liées à la faiblesse de la littérature sur le sujet. La prescription de canneberge est un point de divergence. Pour les recommandations française, la mise en place d’une antibioprophylaxie nécessite une forte fréquence des épisodes dans un souci de protection de l’écologie bactérienne. Aucune étude publiée ne permet de trancher entre les deux attitudes. Le bon sens parfois non étayé par des articles a poussé les recommandations françaises à cette épargne antibiotique potentielle. Les recommandations françaises ne retiennent pas la nitrofurantoïne dans cette indication en raison de la survenue de fibroses pulmonaires et d’hépatites fulminantes corrélées à la durée d’utilisation (IV-C). Il est également noté une différence de fréquence de prise de la fosfomycine-trométamol. Là encore les recommandations françaises ont peu collé à la littérature pauvre sur ce sujet.
Cette entité n’est pas individualisée dans les recommandations françaises. Elle est incluse dans la notion d’infections urinaires masculines.
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| Les infections urinaires masculines |
Dans les recommandations de l’EAU, il est précisé que la cystite chez l’homme sans atteinte de la prostate est rare. Par conséquent, un traitement avec des antimicrobiens pénétrant dans le tissu prostatique est nécessaire chez les hommes ayant des signes d’infection urinaire. Ainsi, il est préconisé cotrimoxazole ou fluoroquinolone. Cependant, les recommandations de l’EAU n’envisagent pas la séquence « traitement probabiliste » puis « traitement adapté » à l’antibiogramme. La durée minimale de traitement proposée par l’EAU est très nettement inférieure à celles des recommandations françaises (Tableau 7). Probablement que les résultats de l’étude Prostashort pas encore publiée pourra confirmer cette attitude de réduction de la durée.
L’analyse met en évidence plusieurs divergences entre les 2 sociétés savantes : le cadre nosologique, la stratégie thérapeutique, la voie d’administration et la durée du traitement.
Le cadre nosologique : les recommandations françaises remplacent le terme « prostatite » par infections urinaires (IU) masculines. En effet, les IU masculines sont très hétérogènes, depuis les formes pauci-symptomatiques (« cystite like ») aux formes parenchymateuses fébriles jusqu’au choc septique.
L’EAU garde la classification du National Institute of Health (NIH) distinguant la prostatite aiguë de la prostatite chronique, définie comme étant symptomatique pendant au moins 3 mois. LA SPILF/AFU ne faisant aucune recommandation pour les prostatites chroniques, cette comparaison ne prend en compte que les prostatites aiguës bactériennes en ce qui concerne l’EAU.
La BU chez l’homme infecté est ici retenue pour sa valeur prédictive positive. L’ECBU est systématiquement recommandé.
L’échographie n’est pas utilisée en routine pour l’EAU et n’est recommandée par la SPILF/AFU qu’en cas de sepsis grave, de suspicion de rétention aiguë d’urine ou de calcul.
La stratégie thérapeutique : pour la SPILF le traitement tient compte de l’intensité des formes cliniques : le traitement des formes pauci-symptomatiques peut être différé jusqu’à l’antibiogramme dans l’optique de proposer d’emblée le traitement le mieux adapté. En cas de mauvaise tolérance ou de fièvre : antibiothérapie probabiliste calquée sur celle des PNA à risque de complication sans élément de gravité en privilégiant les fluoroquinolones systémiques. En cas d’EBLSE l’antibiogramme guidera le choix du traitement en excluant les molécules à faible diffusion prostatique : céfixime, amoxiciline-acide clavulanique, furanes.
Voie d’administration : pour l’EAU, la voie d’administration doit être parentérale jusqu’à disparition des signes infectieux puis orale. Pour la SPILF elle est fonction du statut hospitalisé ou non, du tableau clinique et de la tolérance digestive.
Durée du traitement : pour l’EAU : 2 à 4 semaines. Pour la SPILF : 2 semaines en cas d’utilisation de fluoroquinolones ou de trimétoprime-sulfamétoxazole, au moins 3 semaines en cas de troubles mictionnels préexistants, lithiase, abcès, facteur de risque ou utilisation d’autres molécules.
En cas de rétention aiguë d’urine, le drainage vésical peut se faire aussi bien par cathétérisme urétral que sus-pubien ; l’EAU note cependant que la voie sus-pubienne diminuerait le risque de passage à la chronicité.
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Infections urinaires de la femme enceinte |
Les 2 sociétés savantes s’accordent à recommander qu’il faut dépister et traiter les bactériuries asymptomatiques chez la femme enceinte (Tableau 8). Le risque d’évolution d’une colonisation vers une pyélonéphrite est relativement faible de l’ordre de 2,4 % [13]. Le risque d’une menace d’accouchement prématurée suite à la survenue d’une pyélonéphrite aiguë fait aujourd’hui recommander le traitement systématique de toute colonisation urinaire chez la femme enceinte bien que ce risque absolu soit faible. Ceci a récemment été rappelé dans les recommandations de l’IDSA [14]. Les recommandations de l’EAU ne précisent pas la hiérarchie des antibiotiques à prescrire. Concernant les recommandations de la SPILF, elles privilégient en 1er lieu les antibiotiques ayant le spectre le plus étroit avec le moindre impact sur le microbiote intestinal et la meilleure tolérance materno-fœtale. Les recommandations de l’EAU se sont plutôt attelées à déterminer la durée optimale de traitement entre dose unique, traitement court et traitement jusqu’à l’accouchement. La durée optimale de traitement des colonisations urinaires gravidiques a été discutée. Il n’est pas démontré que les traitements en prise unique ou de durée courte soient aussi efficaces que les traitements prolongés [15, 16], mais une durée de traitement plus courte entraînerait moins d’effets secondaires [18, 17]. À noter que le SMX-TMP est à éviter durant les deux premiers mois de la grossesse (C).
Il existe des différences entre les recommandations nationales et les recommandations internationales concernant la prise en charge des infections urinaires. Ces différences sont liées autant à des interprétations de la littérature qu’aux spécificités locales en partie dues aux résistances. Néanmoins, les recommandations européennes donnent des choix plus larges afin de laisser la possibilité aux pays une adaptation. Il semble que les experts préconisent de suivre les recommandations nationales plus que les recommandations internationales.
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Déclaration de liens d’intérêts |
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.