L’incontinence urinaire de la femme pose un réel problème de santé publique, de par sa fréquence (une femme sur dix, soit plus de trois millions de françaises) et le coût de sa prise en charge (consultations, explorations, traitements). La prévalence de l’incontinence urinaire de la femme varie selon les études de 25 à 45 %, cette prévalence augmentant avec l’âge [1]. Compte tenu de cette prévalence, tous les médecins de « premier recours » des femmes, généralistes et gynécologues médicaux, doivent connaître les grands principes de sa prise en charge afin d’orienter rapidement les femmes vers les traitements reconnus comme étant efficaces ou les explorations adéquates.
Il existe des recommandations pour la pratique clinique (RPC1 ) concernant l’incontinence urinaire de la femme émanant de la Haute Autorité de santé (HAS, 2003) et de deux sociétés savantes, le Collège national des gynécologues et obstétriciens (CNGOF, 2010) [2] et l’Association française des urologues (AFU, 2010) [3, 4]. Ces recommandations ont été diffusées par diverses voies (publications et congrès pour le CNGOF et l’AFU, plaquettes d’information pour la HAS) et ces recommandations sont également accessibles sur les sites internet de ces institutions (HAS1 ; CNGOF2 ; AFU3 ).
Toutefois, actuellement, il n’existe aucune donnée concernant la diffusion et l’application de ces recommandations. Or ces recommandations n’ont d’intérêt que si elles sont connues des praticiens et si elles sont appliquées. Il nous a donc semblé intéressant de réaliser une enquête concernant la diffusion de ces recommandations auprès des médecins généralistes et gynécologues médicaux d’un même territoire de santé. En effet, ces deux spécialistes sont consultés en accès direct par les patientes.
Le document envoyé contenait quatre pages avec une page d’information explicative sur l’enquête, deux pages d’enquête et une page rappelant les principales recommandations sur l’incontinence urinaire (HAS 2003, CNGOF 2010, AFU 2010). Ce questionnaire de quatre pages a été adressé par courriel (e-mailing) aux gynécologues médicaux et médecins généralistes d’un même territoire de santé (celui de notre équipe) (praticiens inscrits sur les listings de formation médicale continue [FMC] ou développement personnel continu [DPC]). Quatre listings ont été utilisés : le listing du Collège des médecins généralistes & spécialistes (gynécologues) de Chaville (Hauts-de-Seine) – Viroflay (Yvelines) & Région (Île-de-France), le listing de la FMC de l’AM3V (association médicale des trois villages : Montigny-le-Bretonneux, Guyancourt et Voisins-le-Bretonneux) et de l’AMY-SUD (association médicale Yvelines-Sud), le listing des médecins formateurs au Centre d’études et de documentation en homéopathie (CEDH) du 78 et 92 et le listing des médecins de la FMC de Versailles. Les médecins hospitaliers ont été exclus. Au total, 350 médecins ont été contactés par courriel (e-mailing) courant avril 2011. Il n’y a pas eu de calcul de taille de l’échantillon ; nous avons simplement essayé d’adresser le questionnaire à un maximum de praticiens dans notre territoire de santé. Le questionnaire anonyme pouvait être renvoyé par mail, fax ou courrier postal, dans les deux mois suivants l’envoi. Nous avons reçu 78 réponses, ce qui représentait un taux de réponse de 22,3 %. Au final, 72 étaient réellement exploitables (six questionnaires étaient remplis de façon incomplète ou illisible). Le questionnaire est donné en Annexe A. Un des objectifs était de comparer les résultats entre les deux spécialités (médecine générale et gynécologie médicale) car ces deux spécialités ont des modes de formation et d’information différents.
Parmi les professionnels ayant répondu à l’enquête, 76 % des gynécologues médicaux et 47 % des généralistes connaissaient l’existence de RPC émanant de la HAS concernant l’incontinence urinaire de la femme (p =0,04). Ces médecins répondeurs étaient des femmes dans 58 % des cas. L’âge moyen des répondants étaient de 51,6ans.
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| Connaissance de l’existence des recommandations pour la pratique clinique |
Les gynécologues rapportaient une meilleure connaissance des RPC émanant de la HAS et du CNGOF que les généralistes (Tableau 1).
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| Pratiques en termes de prise en charge d’une incontinence urinaire |
L’interrogatoire systématique concernant des symptômes d’incontinence urinaire au cours du suivi gynécologique était déclaré être pratiqué par 35 (72 %) généralistes et 17 (81 %) gynécologues (p =0,44). Au total, 34 % des généralistes et 12 % des gynécologues déclaraient ne pas connaître la différence entre incontinence urinaire à l’effort et incontinence urinaire sur urgenturies (p =0,17). Le fait qu’un tiers des généralistes ne faisait pas la différence entre les deux grands types d’incontinence est problématique puisque cela détermine toute la prise en charge.
Concernant le surpoids, 51 (71 %) généralistes déclaraient conseiller une réduction pondérale aux patientes obèses présentant une incontinence urinaire, contre 17 (81 %) gynécologues (p =0,35).
Pour le tabac, 17 (24 %) généralistes déclaraient conseiller un sevrage tabagique aux patientes fumeuses présentant une incontinence urinaire, contre sept (33 %) des gynécologues (p =0,34).
Aucun généraliste et seulement trois (14 %) gynécologues déclaraient demander aux patientes de remplir des questionnaires de symptômes et de qualité de vie pour les femmes présentant une incontinence urinaire (un gynécologue utilisait le CONTILIFE, un utilisait le MHU et un utilisait le DITROVIE).
Deux médecins (un généraliste et un gynécologue) déclaraient faire réaliser un pad test aux patientes présentant une incontinence urinaire. Il est à noter que 38 (67 %) généralistes et dix (48 %) gynécologues avouaient ne pas savoir ce qu’est un pad-test (p =0,05).
Concernant la réalisation d’un calendrier mictionnel, 28 % des généralistes et 57 % des gynécologues déclaraient en demander aux patientes rapportant des symptômes d’incontinence urinaire (p =0,03).
Parmi l’ensemble des praticiens, 27 % déclaraient ne pas savoir ce qu’est un catalogue mictionnel (32 % des généralistes et 10 % des gynécologues, p =0,07).
La majorité des praticiens (78 %) déclaraient faire pratiquer un test à la toux aux patientes souffrant d’incontinence urinaire. Il n’existait pas de différence significative entre les généralistes et les gynécologues (respectivement 75 % et 86 %, p =0,46) concernant cette pratique du test à la toux.
En revanche, 90 % des gynécologues déclaraient réaliser un testing périnéal aux patientes incontinentes contre seulement 35 % des généralistes (p <0,001). Parmi l’ensemble des praticiens, six (8 %) généralistes déclaraient ne pas savoir ce qu’est un testing périnéal.
Sur le plan des explorations, 56 % des médecins déclaraient prescrire un examen des urines (bandelette urinaire ou ECBU) et une évaluation du résidu post-mictionnel chez les femmes consultant pour des symptômes d’incontinence urinaire.
Parmi les généralistes, 13 (26 %) déclaraient prescrire un bilan urodynamique devant toute incontinence urinaire avant de prescrire un traitement et sept (33 %) gynécologues déclaraient le faire (p =0,69).
Concernant les examens d’imagerie, 12 (23 %) généralistes déclaraient prescrire une échographie pelvienne et 11 (22 %) généralistes déclaraient prescrire une échographie rénale et vésicale chez toute femme se plaignant d’incontinence urinaire, alors qu’aucun gynécologue ne déclaraient le faire (p =0,03 et p =0,05).
Concernant le traitement prescrit en première intention dans l’incontinence urinaire d’effort de la femme, les résultats sont exposés dans le Tableau 2. Il n’existait pas de différence significative entre les pratiques déclarées par les généralistes et celles déclarées par les gynécologues, sauf en ce qui concerne la prescription de sonde d’électrostimulation au domicile : 33 % des gynécologues en prescrivaient alors qu’aucun généraliste ne déclarait le faire (p =0,0008).
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| Différence de pratiques selon le sexe du médecin |
Il existait peu de différence entre les médecins femmes et hommes en ce qui concerne la connaissance des RPC. Par exemple l’existence de RPC de la HAS était connue par 60 % des médecins femmes et 51 % des médecins hommes. Les médecins hommes semblaient avoir une meilleure pratique de l’identification des facteurs de risques (95 % des hommes vs 67 % des femmes pour la surcharge pondérale, p =0,04). Le catalogue mictionnel était demandé systématiquement par 50 % des médecins hommes et 40 % des médecins femmes (p >0,05).
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| Meilleurs moyens de diffusion des recommandations pour la pratique clinique |
Les formations type organisme gestionnaire conventionnel – développement personnel continu (OGC-DPC) sur une ou deux journées arrivaient en tête comme moyen de diffusion préféré des RPC (30 médecins sur 72) puis venaient la revue Prescrire, les mailings et autres (en majorité, les plaquettes HAS) (Tableau 3).
Cette étude était la première évaluation réalisée concernant la diffusion des RPC sur la prise en charge de l’incontinence urinaire de la femme. Cette évaluation nous semblait importante pour faire le point deux ans après la publication de recommandations par les deux principales sociétés savantes concernées : le CNGOF et l’AFU. Notre étude a montré que la diffusion de ces recommandations demeurait faible auprès des médecins généralistes et des gynécologues médicaux. Par ailleurs, cette enquête a montré que les recommandations des sociétés de spécialistes n’étaient pas diffusées auprès des médecins généralistes, à la différence de celles de la HAS. La meilleure connaissance des recommandations de la HAS pourrait venir du fait qu’elles sont plus anciennes (2003 versus 2010). Toutefois, les méthodes de diffusion sont censées être plus efficaces aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à l’époque. Les médecins sont aussi maintenant beaucoup plus sensibilisés à l’importance de caller leurs pratiques sur les référentiels disponibles.
L’analyse des données recueillies a montré que dans l’ensemble, sur un même territoire de santé (départements 78 et 92), l’existence de RPC concernant le dépistage/diagnostic et le traitement de l’incontinence urinaire de la femme est plus connue par les gynécologues par rapport aux généralistes, y compris les recommandations émanant de la HAS (76 % vs 47 %, p =0,04). Malgré tout, les médecins (généralistes et gynécologues) étaient sensibilisés à cette pathologie puisqu’un grand nombre pose systématiquement la question aux femmes venues pour examen gynécologique. On peut alors se poser la question de savoir pourquoi il existe, lors des études, un délai de sept ans entre les premiers symptômes et le moment du diagnostic.
Les facteurs de risque tels que la surcharge de poids étaient pris en compte par un bon nombre de médecins. En revanche, le tabagisme était peu reconnu comme facteur de risque d’incontinence par les médecins qui pensaient peu à recommander un sevrage tabagique pour traiter une incontinence, mais ce point reste très discuté dans les recommandations.
Les questionnaires de symptômes et de qualité de vie étaient peu utilisés. Ils sont faciles à utiliser (autoquestionnaires) mais peuvent être consommateurs de temps médical pour expliquer leur principe à la patiente et pour vérifier leur remplissage correct. Toutefois, ils permettent de faire préciser la gêne ressentie par la patiente. L’utilisation de ces questionnaires est de plus en plus reconnue comme importante dans l’évaluation du retentissement de l’incontinence urinaire. Ils permettent également l’évaluation de la satisfaction des patientes après traitement.
La réalisation d’un catalogue mictionnel était demandée dans un tiers des cas, principalement par les gynécologues. Le pad-test, qui permet une évaluation objective de la sévérité de l’incontinence urinaire était peu connu des médecins de ville ; cela est moins problématique puisqu’il ne s’agit pas d’un test à faire en routine, mais plutôt d’une exploration réservée à des cas particuliers ou à des études.
Un quart des médecins demandait un bilan urodynamique devant toute IUE, alors que cela n’est pas recommandé avant la prescription d’une rééducation périnéo-sphinctérienne. Une correction de cette pratique permettrait des économies substantielles. La différence de prescription de sondes d’électrostimulation au domicile est peut être liée à une politique de visite médicale différente entre généralistes et gynécologues de la part des industriels.
Les recommandations professionnelles type « RPC » sont censées améliorer la qualité des soins en définissant des « bonnes pratiques » « il est recommandé de faire ou de ne pas faire… ». Hormis le caractère approprié du choix des thèmes à traiter et qualité de la rédaction des experts, c’est bien la diffusion de ces recommandations qui est la clé de voute de toute cette entreprise d’amélioration de la qualité des soins. Sans diffusion, les chances que les recommandations soient appliquées sont nulles. Les RPC sont bien souvent communiquées lors de quelques congrès, puis elles sont mises à disposition sur le site internet de la HAS ou des sociétés savantes.
Il existe en fait, de multiples méthodes destinées à diffuser largement ces recommandations : diffusion simple par documents imprimés, leaders d’opinion, visites à domicile, audit-retour d’information, FMC, rappels papiers, rappels téléphoniques, rappels informatiques (logiciel d’aide à la décision ou rappel au moment de la prescription).
Dans notre enquête, la majorité des généralistes préférait la diffusion des recommandations par les formations OGC sur une ou deux journées. La diffusion des recommandations par la presse (Revue Prescrire ) ou les mailings était demandée aussi bien par les médecins généralistes que par les spécialistes. Il en est de même pour les plaquettes HAS qui sont envoyées au médecin ou données directement par les délégués de la CPAM.
Il y a eu plusieurs essais randomisés évaluant ces différentes techniques de diffusion des RPC. Les méta-analyses de ces essais montrent que seulement certaines techniques ont démontré leur efficacité (visite à domicile, rappels au moment de la prescription, retour d’information), et que plus les efforts de communication sont importants (nécessité de diversifier les moyens de communication), plus les modifications de pratique sont effectives [5, 6, 7, 8, 9].
Une étude s’est intéressée à la diffusion des recommandations canadiennes concernant les indications de césarienne [10]. Ces RPC élaborées par la société canadienne d’obstétrique et de gynécologie furent largement diffusées (courriers, publication, diffusion à des associations de malades), mais malgré cela, un an après leur diffusion, si les gynécologues obstétriciens reconnaissaient à plus de 90 % connaître l’existence de ces RPC, moins de 5 % d’entre eux étaient capables de dire quelles étaient les principales recommandations et aucun changement significatif des pratiques n’a été observé [10]. La simple diffusion de l’information n’est donc pas la clé unique de l’application des RPC.
La distribution de plaquettes HAS lors de l’entretien avec le/la délégué(e) CPAM auprès des médecins généralistes permet la diffusion des RPC. Cette technique de diffusion d’information a fait la preuve de son efficacité pour modifier les pratiques médicales [11]. Ces visites au domicile des médecins généralistes sont également l’occasion pour la HAS d’un « audit-retour d’information ». Il s’agit d’informer le praticien sur ses pratiques en les comparants à la moyenne des praticiens de la France, de sa région et de son secteur. La CPAM peut ainsi informer un praticien concernant l’adéquation de ses pratiques de prescription par rapport aux recommandations existantes. Toutefois, les méta-analyses des essais évaluant le retour d’information ne semblent pas montrer de changements de comportement médicaux massifs après ces visites [12]. Les rappels « papiers » peuvent avoir un impact significatif, soit sous forme de prospectus, soit sous forme de posters destinés à être affichés dans les salles d’attente des médecins [13]. Nous avons nous-mêmes profité de cette enquête pour rappeler les principales recommandations HAS/CNGOF/AFU concernant l’incontinence urinaire de la femme aux médecins répondants, ce qui a amené des commentaires très positifs lors des retours de dossiers ainsi qu’une demande de retour d’enquête.
La FMC (prochainement DPC) consiste à associer des techniques pédagogiques didactiques et interactives (groupes de travail, jeux de rôle, discussions de cas cliniques). Ces techniques ont prouvé leur efficacité pour améliorer les pratiques [14]. Il y a eu également une demande de FMC lors des retours de dossiers pour une association.
Les techniques purement didactiques sont actuellement quasiment abandonnées du fait de leur faible impact sur les changements de pratique des médecins [15]. Les rappels informatiques automatiques au moment de la décision médicale ou de la prescription ont prouvé leur efficacité pour modifier les pratiques dans des proportions très importantes [16]. Par ailleurs, une fois mis en place, leur pérennité assure un rapport coût/efficacité très intéressant, malgré l’importance des moyens nécessaires à leur mise en place (équipement informatique de tous les praticiens, informatisation de la consultation et de la prescription, programmation des logiciels d’aide à la décision et à la prescription).
La multiplicité des recommandations sur un même sujet, provenant de multiples sociétés savantes pose un problème certain, surtout si les conclusions sont discordantes. Cela peut au moins en partie, expliquer la difficulté de leur diffusion et de leur application. Il est évident que la HAS aurait tout intérêt à centraliser et unifier ce type de RPC qui concernent différentes spécialités.
Notre étude présente des limites importantes. Il peut exister un biais dans l’échantillon ciblé retenu qui n’incluait que les médecins ayant une adresse internet (envoi des questionnaires par mail uniquement), ou ceux qui participaient à des FMC. On peut ainsi toutefois penser que la connaissance de ces RPC doit être encore plus basse dans la population générale des médecins qui ne participent pas aux FMC. Par ailleurs, le taux de réponse était faible (22 %) mais c’est ce qui est généralement obtenu pour ce type d’enquêtes. Il faudra réaliser une enquête plus large, nationale, portant également sur les urologues, afin d’obtenir une meilleure représentativité des réponses.
Par ailleurs, nous nous sommes limités aux médecins généralistes et gynécologues médicaux, ces deux spécialistes étant consultés en accès direct autorisé par l’assurance maladie, mais il serait intéressant de réaliser une enquête auprès des gynécologues obstétriciens qui peuvent avoir des moyens de formation et d’information différents.
Enfin, il serait intéressant que de futures études comparent la diffusion de plusieurs RPC en même temps, par exemple celles concernant l’incontinence urinaire et celles concernant le dépistage et la prévention des infections à human papilloma virus .
Cette étude a donné un éclairage intéressant de la connaissance, de la diffusion et de l’application des RPC concernant l’incontinence urinaire de la femme au sein d’un territoire de santé.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Annexe A. Matériel complémentaire
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