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CHIRURGIE DU CANCER DE LA PROSTATE : La prostatectomie totale : comment éviter les marges positives ?

Auteurs : Frédéric STAERMAN, Michel SOULIE Référence : Prog Urol, 2005, 1119 Mots clés : Cancer de prostate, Chirurgie

La marge positive (Mg+) se définit par la présence de tissu cancéreux au contact des limites encrées de la pièce de prostatectomie.

Elle peut correspondre à 2 situations :

• tumeur extra-capsulaire (pT3) : la section chirurgicale est passée à distance de la capsule mais expose la tumeur,

• tumeur intra-capsulaire (pT2) : la section chirurgicale est passée dans la capsule et expose la tumeur.

Sa fréquence varie de 16 à 46 % [8]. Le diagnostic plus précoce et la migration de stade observés expliquent la baisse de fréquence constatée dans toutes les séries des 5 dernières années. L’amélioration régulière des techniques chirurgicales ouvertes et laparoscopiques a permis également une diminution des marges positives dans les stades pT2 à moins de 10% [29]. Cependant, le taux demeure stable et encore élevé dans le temps en cas de dépassement capsulaire (pT3a) autour de 25-30% [15]. La préservation plus fréquente des bandelettes neuro-vasculaires et l’exérèse de tumeurs plus agressives (score de Gleason de 7 à 10) peuvent également contribuer à maintenir cette fréquence constante [23].

Le problème posé par la positivité d’une marge chirurgicale est l’exposition au risque de récidive biologique (50 à 85% à 5 ans selon le type de Mg+) [8 ; 13]. Cependant, elle ne signifie pas forcément qu’il reste du cancer en place, la section chirurgicale ayant pu passer simplement au contact de la tumeur. La possibilité de tissu malin résiduel ne peut toutefois être exclue. La marge positive en tissu sain semble exposer à un risque de récidive biologique minimal avec une progression du taux de PSA qui ne doit pas dépasser 0,3 ng/ml [2].

Comment réduire la fréquence des marges positives ?

1. Améliorer la sélection des patients

La découverte du cancer de la prostate a un stade précoce infraclinique (T1c) est le principal facteur de réduction du pourcentage de Mg+. L’utilisation combinée des 3 facteurs classiques prédictifs pré-opératoires (TR + PSA + score de Gleason biopsique) dans les tables de PARTIN permet une approximation satisfaisante de la prédiction pré-opératoire du risque de Mg+. L’IRM prostatique endo-rectale ou même de surface peut également avoir un intérêt en préopératoire. Ainsi, le taux de marges positives est-il plus de 2 fois supérieur en cas de stade T3 IRM [27].

Des groupes à risque de marges positives peuvent ainsi être définis :

• faible risque : T1c, PSA < 10 ng/ml, grade < 4, 1 à 2 biopsies positives dont la longueur tumorale est < 50%.

• risque intermédiaire : T2, PSA 10 ng/ml, grade 4 non prédominant, 2/3 des biopsies positives.

• risque élevé : T2, T3 IRM, PSA > 10 ng/ml, grade 4 ou 5 prédominant, > 2/3 des biopsies positives.

2. Hormonothérapie néo-adjuvante

Huit études sur 9 ont montré une baisse du taux de Mg+ avec une hormonothérapie néo-adjuvante (HNA). En revanche, aucun bénéfice en terme de survie sans récidive biologique n’a été démontré avec une HNA de 3 mois [26]. Cela peut s’expliquer par les difficultés d’analyse des pièces opératoires après traitement hormonal. Une étude avec 8 mois de traitement est en cours [10]. Pour le moment, une hormonothérapie ne peut être recommandée dans ce but.

3. Opérateur

Intuitivement, l’expérience du chirurgien est un facteur à prendre en compte dans les résultats de la chirurgie carcinologique et cela a été démontré pour l’oesophage, le pancréas, le côlon et le sein. Sur 10 737 prostatectomies radicales réalisées entre 1982 et 1996, Begg et al. ont montré que les suites chirurgicales dans le cancer de la prostate étaient les meilleures avec l’expérience. Cependant, il n’y a pas de corrélation entre le taux de Mg+ et le nombre de PR réalisées et des variations inter-individuelles persistent même pour une activité soutenue (> 20 prostatectomies radicales/an) [5, 7]. A expérience égale, les variations peuvent aller du simple au double.

4. Technique chirurgicale

a) Voie d’abord

Sur une série de 371 patients pT2, Salomon et al. ont montré la présence de marges positives à l’apex dans respectivement 10,3 % ; 4 ,6 % et 9,4 % pour la voie rétro-pubienne, périnéale ou coelioscopique [23]. En revanche, en situation postérolatérale, le taux de marge est plus fréquent par voie laparoscopique (8,8 % contre 4,3 et 3,4 pour les voies rétro-pubiennes ou périnéales). Au niveau du col, les marges sont positives dans environ 25 % des cas. Elles sont cependant exceptionnellement isolées (1 %) et témoignent en général d’un volume tumoral important [25]. Elles sont le plus souvent corrélées à des facteurs de mauvais pronostic comme l’atteinte des vésicules séminales ou lymphatiques qui vont influer sur l’évolution post-opératoire [16]. La conservation du col ne semble donc pas induire un risque supplémentaire.

Chaque technique a donc des limites et risques spécifiques en terme d’exérèse carcinologique et le choix d’une technique devrait théoriquement prendre en comte la localisation de la tumeur sur les biopsies.

b) Chirurgie élargie

La technique a été décrite par Stamey puis reprise par Alsikafi [1].

• ouverture large du fascia endopelvien préservant le feuillet viscéral

• section profonde des ligaments puboprostatiques et des piliers de Müller

• section uréthrale à 2-3 mm de l’apex

• section du muscle recto-uréthral

• ablation des tissus graisseux péri-uréthraux et du fascia péri-prostatique (dissection extra-fasciale)

• ligature basse du pédicule prostatique supérieur

• repérage des uretères (si besoin)

• pas de conservation du col vésical ni des nerfs érecteurs

c) Préservation des bandelettes

L’excision large des bandelettes neuro-vasculaires prévalait dans les années 90. Catalona avait montré que tous les patients avec extension extra-capsulaire dans la région des bandelettes avaient des marges d’exérèse positives en cas de préservation de celles-ci [6]. De même, Smith a rapporté une diminution de 10 % de la positivité des marges après excision large [24]. Sur une série ancienne du JHMI de Baltimore , le sacrifice des bandelettes neuro-vasculaires réduisait les marges positives de 55 à 42 %. Toutefois, 26 % des marges uniquement n’étaient localisées qu’à ce niveau réduisant l’intérêt de cette dissection large. Cependant, il s’agit d’une série ancienne dont 75 % des patients avaient un score de Gleason 7.

Cependant, la préservation des bandelettes n’est la seule cause de Mg+ que dans 0 à 7 % des cas. D’autre part, en l’absence de problème technique, le caractère carcinologique de l’intervention ne peut pas être compromis si la tumeur est intra-capsulaire ce qui est de plus en plus fréquent.

L’examen extemporané des berges de la pièce peut présenter un intérêt [11; 12]. Ainsi, Fromont rapporte une diminution de 20% du taux de marges positives [9].

Chez des patients sélectionnés, la préservation d’une ou des deux bandelettes neuro-vasculaires a ainsi pu être proposée sans risque carcinologique. Barré et Chauveau ont rapporté une réduction du risque de marges positives postérolatérales de 5 à 0 ,4 % dans les pT2 et de 43 à 6,6 % dans les pT3 en modifiant la technique de dissection de celles-ci [4].

Chez les patients ayant un risque élevé de pT3 (PSA > 15 ng/ml, plus de 2/3 des biopsies positives, présence de grade 4 ou 5, T2a ou b, T3 IRM) la conservation des bandelettes n’est pas recommandée.

d) Dissection de l’apex et du col

Alsikafi et Brendler en sectionnant le Santorini entre 10 et 15 mm de l’apex prostatique, l’urètre à 3 mm et le muscle recto-urétral ont un taux de marges positives de 11 % avec cependant encore 35 % des marges positives à l’apex [1]. Soulié et al dans une série rétrospective de 212 prostatectomies radicales ont « élargi » la dissection à l’apex sacrifiant les deux bandelettes. Le taux de marges positives es passé de 53 à 20,5 % avec pour l’apex uniquement une réduction de 33 à 8 % [27].

Il n’est pas certain en revanche que l’excision large du col vésical ait un intérêt thérapeutique. En effet, tous les patients rapportés par Obek avec une atteinte du col avaient d’autres facteurs de risque péjoratifs (Gleason > 7, PSA > 20 ng/ml et/ou atteinte des vésicules séminales) et étaient candidats à un traitement adjuvant [17].

Conclusion

La constatation de marges d’exérèse positives après prostatectomie totale est un élément pronostique en l’absence d’autres facteurs plus péjoratifs (envahissement des vésicules séminales, score de Gleason 8, extension extracapsulaire étendue ou envahissement du col). La récidive biologique n’est cependant pas certaine.

Le meilleur traitement demeure comme souvent préventif (dépistage plus précoce du cancer au stade T1c, optimisation des techniques chirurgicales, non conservation des bandelettes neurovasculaires si risque de pT3).

Références

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