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CHIRURGIE DU CANCER DE LA PROSTATE : Indications et contre-indications de l’exérèse des bandelettes vasculo-nerveuses lors de la prostato-vésiculectomie totale

Auteurs : Pascal ESCHWEGE, Michel SOULIE Référence : Prog Urol, 2005, 1113 Mots clés : Cancer de prostate, Chirurgie

La prostato-vésiculectomie totale ou prostatectomie radicale est un des traitements du cancer localisé de la prostate [1]. Cette intervention chirurgicale peut être réalisée par voie rétropubienne, par voie périnéale ou par abord laparoscopique (voie d’abord extra péritonéale où voie d’abord intra péritonéale). La prostatectomie radicale rétropubienne est la technique de référence la plus utilisée. La morbidité post opératoire est dominée par les troubles de la fonction érectile et par l’incontinence urinaire [2]. Les résultats carcinologiques sont critiquables en raison du taux d’exérèse incomplète du cancer prostatique qui est d’environ 20%. Cette limite d’exérèse incomplète est une cause de décès des patients [26]. Elle peut être due à une résection chirurgicale intra prostatique ou à une extension tumorale extra prostatique atteignant les limites de la résection chirurgicale. Réduire ce constat doit être un objectif prioritaire mais qu’il faut concilier cet objectif avec l’amélioration des résultats sur la qualité de la continence et de la fonction érectile postopératoire. La fréquence grandissante de cancers prostatiques détectés chez l’homme jeune souligne encore plus l’importance de cet enjeu. Le succès carcinologique et fonctionnel de cette intervention nécessite une parfaite connaissance des structures anatomiques et une technique de dissection rigoureuse, dans le respect constant des limites d’exérèses. Plusieurs paramètres apporteront leur contribution à cette réussite (i) l’installation appropriée du patient sur table (ii) la qualité d’exposition conditionnant la sécurité et la précision du geste opératoire, (iii) le contrôle des pertes sanguines, indispensable à l’obtention d’un champ opératoire aussi exsangue que possible (iv) une instrumentation spécifique et adaptée aux exigences du champ opératoire en particulier pour la voie d’abord laparoscopique [4, 5, 7,10].

I. Préservation des nerfs érecteurs et chirurgie carcinologique

Les lames nerveuses longent les parois antéro-latérales du rectum. Elles distribuent à la prostate sur ses deux angles postéro latéraux sa vascularisation et son innervation. Chacune de ces lames est constituée de deux parties (i) l’une externe, plus ou moins fibreuse, qui donne une certaine solidité à la lame : c’est le fascia du releveur (ii) (ii) l’autre interne, intrafasciale, constituée d’éléments vasculo-nerveux noyés dans un tissu fibro conjonctif et adipeux. Elle contient les vaisseaux et nerfs prostatiques qui vont perforer le fascia prostatique et la capsule, pour pénétrer la glande au niveau des pédicules supérieur et inférieur et les nerfs caverneux, branches efférentes du plexus hypogastrique qui vont se rapprocher progressivement de la prostate de la base vers l’apex. A ce niveau, ils ne sont plus qu’à quelques millimètres de la glande. Ils vont ensuite longer la face postéro-latérale de l’urètre, en restant en regard de la face antérieure du rectum jusqu’au plancher pelvien. La dissection de ces lames expose à deux risques : la blessure des nerfs caverneux et la création de limites d’exérèses positives. L’atteinte des nerfs caverneux peut être réalisée par un traumatisme direct de la lame nerveuse, qui est d’autant plus important que la traction d’exposition est grande. Elle peut aussi être expliqué par les effets de la coagulation thermique [20]. La dissection des bandelettes neurovasculaires doit selon certains être réalisée sans bistouri électrique, avec des clips adaptés. Le franchissement capsulaire se fait en plus grande fréquence en situation postéro latérale là où s’insèrent les lames nerveuses, et plus précisément le long des gaines nerveuses [13, 14]. Près de 80% des limites d’exérèses positives chirurgicalement induites en situation postéro latérale sont dues à la technique de préservation nerveuse [13]. Le franchissement capsulaire focal est présent dans 20% des cas lorsque les bandelettes vasculo-nerveuses sont excisées en raison d’une suspicion d’envahissement extra capsulaire, la tumeur ne pénètre pas plus de 2 mm dans la lame nerveuse dans 75 % des cas. Pour toutes ces raisons, la sécurité est de créer un plan de dissection à quelques millimètres de la prostate, en évitant toujours d’être au contact immédiat du fascia prostatique [14].

Pour ne pas blesser les nerfs érecteurs, cette dissection doit être hypersélective : il faut isoler des pédicules millimétriques, sans jamais s’écarter de plus de 3 ou 4 mm de la prostate. Pour l’exposition de ce temps opératoire, il faut positionner sans aucune traction la sonde urétrale sur le côté gauche de l’incision, l’opérateur réalisant avec sa main gauche une légère pression sur la prostate pour horizontaliser la lame nerveuse. Deux temps opératoires vont se succéder (i) l’incision du fascia du releveur et (ii) la dissection hyper sélective de la lame nerveuse.

L’isolement des bandelettes neuro-vasculaires se fait au moment de la dissection de l’apex. La prostate doit être luxée sans aucune traction pour donner à l’opérateur le meilleur jour sur les lames nerveuses. Ces structures neurovasculaires passent le long de la face latérales et postérieure de l’apex puis se glissent entre les fibres musculaires lisses et le sphincter strié de l’urètre avant de gagner les corps caverneux. Qu’il s’agisse d’un abord sus-pubien ou périnéal, c’est au moment de l’isolement de cette partie terminale du fascia que l’on suggère de respecter ces éléments vasculo-nerveux. Cette meilleure connaissance permet une diminution des complications liées à sa lésion. Walsh [23-25] a le premier défini et appliqué une nouvelle technique de préservation nerveuse par un meilleur contrôle de l’hémostase et une vision excellente du champ opératoire par abord sus-pubien dans la prostatectomie radicale. D’autres ont essayé d’appliquer ces techniques de préservation nerveuse par abord périnéal avec un taux d’impuissance plus élevé [8, 11, 16, 17].

Gunterberg [6] a montré que la préservation d’un seul paquet neuro-vasculaire pouvait suffire à conserver la fonction sexuelle ainsi que la continence. L’exérèse d’un paquet neuro-vasculaire peut donc être réalisée de façon unilatérale comme l’ont montré Lue et Gunterberg.

Selon Mauroy [12], la préservation des bandelettes doit également être réalisée en arrière et latéralement, au contact des vésicules séminales. La difficulté de la dissection du plexus hypogastrique inférieur et son contact étroit avec la vésicule séminale expliquent les risques de lésions importants qui peuvent survenir lors d’une prostatectomie radicale. Ces risques sont majorés lorsque le patient présente un pelvis profond et que l’exérèse des vésicules séminales s’effectue difficilement dans un champ opératoire hémorragique.

Ces risques sont variables en fonction de l’expérience de l’opérateur et de la technique opératoire utilisée. Le plexus hypogastrique peut également être lésé au niveau de ses afférences ou efférences selon le type de l’intervention. Le nerf caverneux notamment émerge du bord antéro-inférieur du plexus hypogastrique avant de longer la face postéro-latérale de la prostate. Il passe donc au contact de la vésicule séminale et peut être lésé lors d’une prostatectomie radicale avec vésiculectomie. Le seul moyen technique fiable permettant de respecter l’intégrité du plexus hypogastrique inférieure est de passer à distance de celui-ci. Le principe est de décoller la bandelette au contact de la vésicule séminale pour l’en écarter. Il faut certes disséquer dans un espace très réduit sans pour autant traumatiser la lame nerveuse. Mais il existe un véritable plan de clivage entre la vésicule séminale et la lame nerveuse. En effet, lorsque les ciseaux s’insinuent dans ce plan, l’isolement et la séparation de ces deux structures s’effectuent facilement et ceci malgré leur fragilité. Il est parfois possible de préserver une partie latérale de vésicule séminale.

Cependant, la réalisation de cette conservation ne doit en aucun cas se faire au détriment de l’efficacité carcinologique. La réduction du risque de lésions des voies postérieures de l’érection peut s’effectuer soit en utilisant le plan de clivage qui existe entre le plexus hypogastrique inférieur et la vésicule séminale, soit en laissant une partie de vésicule séminale à condition que les impératifs carcinologiques le permettent. En coeliochirurgie, l’opérateur doit veiller à écarter les bandelettes vasculo-nerveuses de la vésicule séminale et clipper les tractus fibreux et vasculaires qui se tendent lors de la réalisation de ce geste. Lors d’un abord abdominal, la dissection des vésicules séminales se déroule au fond d’un véritable puits. L’opérateur doit réaliser la section en laissant en place une partie de la vésicule séminale plutôt que de chercher à extraire la totalité de la vésicule séminale en posant des pinces à l’aveugle.

Ce geste est naturellement fonction des impératifs carcinologiques. Une résection large uni ou bilatérale des lames nerveuses sera réalisée chez les patients n’ayant plus d’activité sexuelle et en cas de risque carcinologique d’effraction capsulaire.

Ce risque est important en cas d’envahissement massif des biopsies avec atteinte de l’extrémité capsulaire des biopsies, présence d’un grade 4 majoritaire et en cas d’envahissement péri nerveux. Pour les autres, une dissection hyperselective des bandelettes doit être considérée comme un objectif technique de la prostatectomie radicale. La localisation des marges chirurgicales diffère suivant la voie d’abord : l’apex pour la voie rétropubienne, le col vésical pour la voie périnéale et en postéro latéral pour la voie laparoscopique [10, 3, 21]. Dans cette région, se trouvent les bandelettes neurovasculaires et les pédicules prostatiques.

En cas de préservation des bandelettes unilatérales, les érections sont présentes s’il s’agit de voie ouverte dans 15 à 70% des cas et par voie laparoscopique entre 55% et 60%. En cas de préservation bilatérale, les résultats varient entre 35% et 90% par voie ouverte et 40% et 60% par voie laparoscopique [9, 16, 17, 18]. Vallencien [15, 22] rapporte un taux de 75% pour les patients ayant moins de 70 ans, à érection normale avant l’intervention et ayant eu une préservation bilatérale des bandelettes. Les patients suivis par Walsh où l’âge moyen est de 57 ans ont un taux d’érections post-opératoires de 85% [25].

Conclusion

La préservation uni ou bilatérale du paquet neuro-vasculaire des corps caverneux prévient correctement les risques de complications sexuelles. Cette préservation doit intervenir à l’apex prostatique, mais doit concerner également le pôle latéral de la vésicule séminale, véritable point de repère pour la localisation du plexus hypogastrique inférieur. Le risque de dysfonction érectile va de 30 à 85 % suivant la possibilité de conservation d’une ou des deux bandelettes vasculo-nerveuses, de l’âge du patient, de la qualité des érections en pré-opératoire. Dans ces bandelettes vasculo-nerveuses passent les nerfs érecteurs et il faut essayer de les conserver pendant l’opération tout en gardant à l’esprit que le but premier de l’opération est de retirer tout le cancer.

Il faut donc parfois sacrifier ces bandelettes vasculo-nerveuses pour être sûr de passer en zone saine et ainsi enlever tout le cancer. Cette dysfonction érectile va apparaître immédiatement après la chirurgie et la récupération d’une éventuelle fonction sexuelle peut prendre jusqu’à 2 ans.

Références

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